La vérité sur l’affaire Harry Quebert

Joël Dicker, 2012

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J’ai enfin lu ce livre qui a fait tant de bruit (en Suisse romande en tout cas) il y a quelques années… Je n’ai pas eu envie de le lire plus tôt, je préférais attendre que cette frénésie se calme un peu et le commencer dans des conditions plus neutres. Parce que je ne sais pas en France, mais en Suisse on en a entendu parler dans tous les sens, ah là là… c’est rare d’avoir des gens qui percent par chez nous, mais alors quand c’est le cas on ne peut pas l’ignorer. J’avoue que j’étais curieuse du coup, et quand je me suis décidée à l’attaquer, j’étais pleine de bonne volonté.

C’est donc un polar, comme le montre (pas du tout) la couverture. Marcus Goldman, jeune écrivain à succès en pleine crise de la page blanche, reprend contact avec son ancien professeur, l’illustre Harry Quebert (monument de la littérature), pour lui demander de l’aide. Peu de temps après, un scandale éclate : on retrouve dans le jardin de Quebert le cadavre d’une jeune fille, Nola Kellergan, qui avait disparu il y a plus de trente ans. Evidemment, il est le premier suspect, d’autant qu’il avoue avoir eu une liaison avec Nola avant sa disparition, lorsqu’elle avait quinze ans et lui le double, et Marcus décide de l’innocenter.

L’idée de base est très intéressante, j’étais assez emballée à la fois par l’immersion dans le monde des écrivains (à travers les conseils que Quebert donne à Marcus, les relations de Marcus avec le monde de l’édition, j’avais envie de voir l’envers du décor pour une fois) et par cette histoire de liaison avec une jeune fille de quinze ans, je me réjouissais de comprendre comment ça avait pu se produire et ce qui avait bien pu mal tourner. D’ailleurs, je l’ai lu vite, j’ai trouvé le rythme soutenu, le style d’écriture n’est pas incroyable mais pour un polar ce n’est pas forcément dérangeant. Et puis, au fur et à mesure, j’ai commencé à grincer des dents, pour des petites choses que je n’identifiais pas forcément. Et arrivée à la fin, je crois que je suis capable de mettre des mots sur ce qui m’a dérangée, et pourquoi finalement je ne suis pas très convaincue par ce livre.

Tout d’abord, j’ai réussi sans trop d’effort à deviner certains éléments de l’histoire, et personnellement je n’aime pas ça, tout simplement parce que je n’essaie pas de deviner, j’aime être surprise et en général si je comprends trop vite c’est parce que l’auteur a mis trop d’indices, et du coup ça me frustre. Et de manière générale, je n’ai pas trouvé les révélations très dingues, je pense que ça peut plaire à des gens qui ne lisent pas énormément de polars, mais pour moi qui en lis régulièrement je trouve le tout … pas forcément trop simple, parce que l’histoire est un peu tarabiscotée et tout de même bien construite, mais trop préparé, trop académique : les outils pour amener le suspense ou créer de l’ambiguïté sont parfois trop évidents, certaines tournures de phrase m’ont mis la puce à l’oreille alors qu’elles étaient là justement pour brouiller les pistes (par exemple, mettre une phrase au passif pour ne pas préciser le sujet, et qu’on fasse de faux raccourcis. Sauf que si la phrase ne sonne pas très bien au passif, il y a de fortes chances qu’on se dise « tiens tiens, mais pourquoi il ne l’a pas écrit autrement, ça sonne mal là », et du coup on risque plus facilement de comprendre que c’était une ruse, et ça nous donne de gros indices au lieu de créer le quiproquo recherché. Je ne sais pas si je suis claire, mais je voulais éviter le spoil…), il fait des retournements de situation sur la base de « HA-HAA ! En fait vous aviez oublié hein, mais on avait pas creusé cette piste-là et maintenant ça change tout! » alors que non, on avait pas oublié, parce que tu l’as répété quinze fois et après plus de nouvelles pendant 50 pages, alors forcément on se doute que tu vas nous le ressortir, et on prend un peu les personnages pour des imbéciles au passage parce que eux, manifestement, ils ont oublié. Et puis je me lasse un peu du schéma « les villageois parlent pas pendant trente ans, et finalement quand on leur pose la question ils déballent tout parce que c’est quand même bien pratique pour l’histoire, et on ressort l’argument du poids du secret qu’ils ont gardé touuuutes ces années et qu’ils sont contents d’enfin lâcher », c’est un immense ping-pong entre les témoins de l’époque, à chaque fois un nouveau nom sort alors c’est parfait comme ça on peut aller l’interroger aussi et on va apprendre plein de choses cruciales… Bref, toute la partie polar manque de finesse.

Mais surtout, on a tellement peu de travail sur les personnages ! Je ne m’en suis pas rendue compte tout de suite, parce que le début retrace toute la vie de Marcus, alors effectivement on découvre plein de trucs sur lui, on lui crée un profil psychologique, c’est plutôt intéressant et bien fait, pas de souci pour moi. Mais les autres ! On dirait qu’on leur a mis une étiquette (toi, tu seras la fille folle amoureuse de Quebert depuis trente ans, ancienne reine de beauté mais maintenant tu es frustrée, tu n’as rien accompli et tu as un mari-second-choix parce que Harry n’a pas voulu de toi. Toi, tu vas être le gentil gars transparent fou amoureux de la reine de beauté mais forcément elle te remarque pas alors tu essaies, tu essaies, tu essaies, et finalement ça marche parce qu’elle a pas pu avoir son premier choix. etc., etc.), avec 3-4 informations, et c’est tout ce qu’on saura d’eux dans tout le livre. Et tous ces portraits sont construits sur des clichés vus et revus, si bien qu’on peut presque prévoir les deux dernières infos à partir des premières. Quoi ? Elle, elle est hyper tyrannique avec son mari ? Ahh, je suis sûre qu’au fond c’est parce qu’elle l’aime, et elle arrive pas à l’exprimer, et du coup elle en souffre et c’est encore pire. Touché. Et les caricatures des parents de Marcus, qui représentent la classe moyenne américaine pas très intelligente, me donnaient envie de hurler. Mais ce qui m’a le plus déçu c’est le développement de la fameuse relation entre Nola et Harry. On ne nous donne rien ! Une première rencontre très sympathique, qui promet un joli développement, et puis plus rien. Dès la deuxième rencontre, on a droit à du « je t’aime à la folie mon chéri » à gogo, sans justification, sans matière, avec des drames de séparation, de remise ensemble, de culpabilité par rapport à l’âge, d’accord, mais tout ce qu’on a entre les mains c’est : 1. Nola est très jolie, 2. Nola est géniale et fantastique et merveilleuse, 3. Nola aime Harry de tout son coeur et Harry aime Nola à la folie. Bon, ok, mais il faut la construire la belle histoire d’amour si tu veux nous embarquer avec toi, Joël ! Moi je voulais comprendre comment un homme de trente ans s’amourache d’une adolescente, ce qu’ils se racontent, ce qu’ils font ensemble, comment ils s’apprivoisent, comment ils créent leur équilibre, comment ils compensent la différence d’âge au quotidien, ce qu’ils s’apportent l’un à l’autre, et tu me donnes du « Je l’ai vu et je suis tombé amoureux et Nola est géniale et on est heureux » ? Ca ne fait pas grand chose à se mettre sous la dent.

Bref, finalement j’ai critiqué un peu plus que je ne le pensais, mais je ne veux pas non plus dire que c’est un mauvais livre. C’est une lecture de plage, qui se lit bien, avec une bonne trame de fond mais un traitement trop léger. Alors on passe un bon moment, mais je le mettrais un peu dans le même panier que du Musso ou du Bussi, c’est facile, ça divertit, et on oublie vite. Alors vu toute la médiatisation, les prix, les acclamations, je m’attendais à mieux.

Si tu veux le lire en musique, l’atmosphère que je retiens est celle de l’océan et des mouettes, ce qui me donne envie de te proposer du Of Monsters and Men, un peu mélancolique comme Quebert et pas trop joyeux pour rester dans l’ambiance de l’enquête.

15 commentaires sur “La vérité sur l’affaire Harry Quebert

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  1. En lisant ton avis, je me suis souvenue que la Nora, elle était particulièrement spéciale, voire un peu… foldingue, non ? Je me souviens en tout cas de l’étrange sensation que j’avais quand Nora apparaissait. Ouais nan mais en règle générale, oui c’est pas toujours développé, mais une fois de plus, et sans savoir pourquoi, j’ai été particulièrement touchée par la tragédie qui entoure la mort de Nora, qui aurait pu être évitée. Ça me faisait tellement penser à un épisode de Cold Case (série que je suivais beaucoup à l’époque de ma lecture et que j’adorais) que j’ai été surprenamment réceptive.

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    1. Ah elle est timbrée, tu peux le dire 😉 Ca aussi ça m’a contrariée, je spoil un peu mais mademoiselle fait une tentative de suicide alors qu’elle connaît le gus depuis deux semaines, parce qu’elle croit qu’il veut pas d’elle (déjà, là j’avais envie de hurler à Harry MAIS FUIIIIS, GARCON ! ELLE EST FOLLE ! donc forcément j’ai eu de la peine à les trouver chou ensemble), et 50 pages plus loin Dicker essaie de nous faire croire qu’elle a une aventure avec la moitié des gars du village pendant qu’elle fréquente Quebert… Ouais, sauf que non mon cher Joël, on peut pas y croire du coup, fallait en parler avant cette histoire de suicide passionnel…. Mais en soi, j’ai rien contre l’histoire et je te rejoins sur le côté tragédie, j’ai aussi été frustrée d’imaginer Quebert dans sa chambre d’hôtel et je trouve que la trame de fond est bonne. Il a juste pas su me la vendre correctement 🙂

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      1. Haha c’est exactement ça ! Limite un moment donné je me demandais si c’était pas une manipulatrice qui avait piégé Harry. En fin de compte j’ai été un peu déçue qu’elle soit vraiment sincère, parce que sincèrement à la place d’Harry, j’aurais voulu avoir cette dinguo à côté de moi. XD

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    1. Je pense que j’aurais été beaucoup moins fâchée contre lui si je n’avais pas entendu parler du Goncourt… Du coup ce n’est pas complètement de sa faute. Mais surcoté, ça, sans aucun doute !

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    1. J’ai un peu regretté de m’être autant emportée dans cette critique, parce qu’au final j’ai quand même passé un bon moment et que je m’énerve surtout qu’on ait voulu le récompenser d’un Goncourt, mais finalement je me dis que cet élan de colère passionnelle est presque un compliment en soi, ça montre en tout cas qu’il ne m’a pas laissée indifférente 😉 Et la maladresse du côté polar se ressent sûrement moins si on n’est pas familier du style à la base, moi je lis beaucoup de thriller alors ça m’a sauté aux yeux… Mais je te conseille quand même de le lire, rien que pour te faire ta propre opinion ! 🙂

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  2. Je peux comprendre toutes tes critiques sur les personnages (le pire reste pour moi le vieux riche trop mystérieux et ancienne petite frappe en blouson de cuir à 10 briques sur le dos qui emploie le mec chelou du coin par fausse bonté d’âme)(sortez les violons), mais par contre, je trouve justement l’histoire d’amour cohérente… Justement parce que ce n’en est pas une, finalement. Nola fantasme totalement un Harry qui n’existe pas (le Québert talentueux, riche, flamboyant alors que ce n’est qu’un écrivain raté) et Harry s’aime lui-même à travers l’adoration disproportionnée que Nola lui prodigue à coups de phrases grandiloquentes et dégoulinantes de sentiments. Aucun des deux n’a conscience de la réalité des choses, c’est d’ailleurs pour ça qu’Harry s’enfuit au Canada avant que Marcus ne découvre le pot-aux-roses, selon lequel Harry Québert l’écrivain, le beau, le grand, le magnifique Harry n’est qu’une gigantesque fraude, et ce, depuis plus de trente ans.

    Tout le monde se raconte des histoires, par besoin et nécessité. Encore plus dans les petites villes côtières américaines où l’ennui et les vies sans surprise guettent tout le monde… (pour les jetés de paillettes et de cotillons, c’est maintenant, lalalala).

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    1. Hahah je l’avais tellement spotté à 10km pourquoi il embauchait son chauffeur (« il s’est fait défigurer par des INCONNUS qu’on a JAMAIS retrouvés, et après cet illustre inconnu plein aux as a été gentil » sérieux ? Fais moins subtil, steplait, c’est trop compliqué pour moi là…) qu’est-ce que ça me frustre ^^ »
      Oui je vois ce que tu veux dire ! Je pense que ce qui m’a embêtée, c’est que je voulais comprendre ce fameux coup de foudre et entrer dans leur dynamique de couple alors que comme tu dis, ce n’est pas une vraie histoire d’amour et que du coup elle manque de substance… mais ton interprétation me plaît bien 🙂

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  3. Je partage le même avis que toi, bien mais sans plus. Je n’ai pas l’habitude de lire des polars cependant. C’était extraordinairement cliché, je crois que ça a été le gros bémol pour moi, en plus de l’histoire en elle-même qui n’était pas bien terrible. Un peu moyen, donc. Je ne comprends pas non plus tout son succès.

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    1. Ah oui ça, niveau clichés on est servies 😉 Je commence à ne plus trop penser à ce qui a du succès ou non, parce que c’est vraiment quelque chose qui m’échappe ! Certaines oeuvres sortent du lot sans prévenir, des pépites tombent dans l’oubli… tout ceci est bien mystérieux !

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