[Un peu de maths?] Le paradoxe de Banach-Tarski

Je t’ai laissé cogiter tranquillement un mois sur notre première leçon de maths, c’est le moment d’en rajouter une couche avant que tu aies tout oublié (serais-je en train de trouver un rythme dans mes publications ? Est-ce possible ?). Je me lance dans un sujet plutôt costaud cette fois-ci, parce que sinon la vie serait trop simple. Après tout, tout ce que je risque, c’est de te dégoûter à jamais de ce rendez-vous mensuel (et des maths en général) (argh). Alors je vais essayer de rester le plus possible dans les explications et les concepts, sans entrer dans les détails techniques.

La dernière fois, je te parlais de l’infini, cette notion impossible à imaginer et qu’on manipule pourtant régulièrement comme si tout était parfaitement normal. Alors forcément, puisqu’on n’arrive pas à comprendre l’infini, c’est le terrain de jeu parfait pour des paradoxes. Et aujourd’hui, justement, on va parler du paradoxe de Banach-Tarski, aussi appelé paradoxe du petit pois et du soleil (est-ce que ça te fait un peu moins peur comme ça ?).

Nous sommes en 1924 lorsque messieurs Banach et Tarski lâchent une bombe sur le monde des maths (bombe que je m’apprête à lâcher dans trois secondes, accroche-toi à ton canapé) : il existe un moyen de couper une boule en 5 parties et de les rassembler pour former deux boules de la même taille que la première.

On va s’arrêter là un petit moment et répéter ça calmement. Dans notre 3D habituelle, pas dans un espace bizarre à 52 dimensions (on adore ça en maths), si tu prends une orange, théoriquement, tu pourrais la séparer en 5 morceaux, et sans changer leur taille ou leur forme, les réassembler différemment pour obtenir deux oranges, pas plus petites qu’avant. Oui, tu as bien compris, on est en train de prouver que la multiplication des pains, c’est possible. Du coup, si on pousse le raisonnement, en répétant le processus (un peu comme la division cellulaire, dans le fond), tu peux obtenir tout un tas d’oranges à partir de celle que tu avais dans la main. Autrement dit, en partant d’un petit pois, tu peux multiplier les petits pois pour finir avec un immense tas de petits pois de la taille du soleil.

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Sous tes yeux ébahis, l’illustration wikipedia du phénomène. Oh ça va, c’est des mathématiciens, pas des artistes.

J’imagine que tu commences à flairer l’embrouille. Parce que si on était capable de faire cette construction en vrai, ça ferait longtemps qu’on s’en servirait pour créer de la matière, au lieu d’épuiser nos ressources comme des idiots. N’oublions pas que je te parle d’un paradoxe, pas d’un tuto bricolage. Eh oui, c’est bien un paradoxe, puisque si on parle en chiffres, on est en train de dire que 1 orange = 2 oranges (vu qu’on a pas rajouté de matière). Et 1 = 2, c’est le genre d’égalités qui font un peu stresser. Du genre, si on tombe dessus, on va faire un grand trait en travers de notre feuille en concluant que notre preuve est bien, bien fausse. Sauf que Banach et Tarski, ils ont sorti un raisonnement qui tient le coup, alors on est bien obligés de faire avec.

Si tu t’interroges sur leur démonstration justement, sache que je ne vais pas me lancer là-dedans. Parce qu’ils montrent pas ça seulement en 3D, ils font un truc beaucoup plus général (c’est tellement plus marrant). Et que ça parle de groupes libres, de moyennabilité, tout un tas de termes bien sympas : en gros c’est de l’algèbre, c’est pas visuel du tout, alors c’est très beau quand tu comprends quelque chose mais ça n’aide absolument pas à se représenter l’histoire (parce que, petite subtilité : ils ne disent pas « voilà comment couper une boule en 5 », ils prouvent qu’il existe un moyen de le faire. Ca aussi c’est un truc qu’on adore faire en maths : prouver l’existence des choses, et après on laisse aux autres scientifiques tout le plaisir de trouver comment ça se fait. Ca peut te sembler inutile du coup, mais disons que si tu cherches un truc à l’aveuglette, t’es quand même content de savoir qu’il est là quelque part et que tu cherches pas dans le vide).

Mais je ne vais pas te laisser tout seul, sans le moindre début d’explication ! Il se trouve qu’en 3D, on sait comment couper notre boule. Et ça c’est déjà plus parlant. Je vais quand même rester très en surface, mais si tu veux des détails, je te renvoie (ça va devenir une habitude) à la fantastique vidéo de Vsauce, qui illustre le tout avec beaucoup d’enthousiasme.

C’est en anglais, évidemment, et si ça te rebute trop je peux aussi te proposer une version française, très bien faite aussi mais un peu moins ludique, sur la chaîne El Jj.

En bref, l’idée c’est de découper ta boule en plusieurs ensembles infinis de points. Alors évidemment, avec ton ciseau tu auras du mal, c’est là tout le problème. Mais la magie de cette construction, c’est qu’en faisant tourner un ensemble tu retombes exactement sur un autre, du coup tu en as deux identiques, et si tu t’y prends bien à la fin tu as bien de quoi reconstruire deux boules. Si tu veux voir ce que ça donne en image sans te farcir les explications, il faut aller sur la vidéo de Vsauce à 15:45.

Une partie des subtilités de la construction repose sur les particularités de l’infini (on y arrive!), et c’est la dernière chose dont je vais te parler brièvement aujourd’hui (c’est aussi expliqué dans la vidéo). Imagine un hôtel, avec un nombre infini de chambres. On fait entrer une infinité de clients, et on en met un par chambre, de sorte que l’hôtel soit complet. Maintenant, admettons que le premier client rende les clés et parte. Notre esprit habitué à des quantités finies va donc se dire qu’une chambre a été libérée et qu’il faut faire venir un nouveau client pour que l’hôtel soit à nouveau complet. Alors qu’en réalité, si tu demandes à chaque client de se décaler d’une chambre, la première sera occupée, et toutes les autres aussi, puisqu’il y a une infinité de clients. En gros, l’infini moins 1, ça fait toujours l’infini. Et même l’infini moins 10000, ça fait toujours l’infini. Tu m’étonnes qu’on arrive sur des paradoxes avec des choses pareilles.

J’espère que je t’ai bien retourné le cerveau, et je te laisse un petit mois pour digérer ça (en espérant que tu seras toujours là pour la suite !). Et pour t’amadouer et te récompenser d’avoir tenu jusqu’ici, je te donne même deux chansons. Très différentes l’une de l’autre, elles ont toutefois le même titre : d’un côté Kansas, bien ancré dans le rock progressif des années 80, et de l’autre Dried Cassava, qui sont manifestement indonésiens et que j’ai découverts uniquement parce que leur chanson s’appelle « Paradox ». La magie d’internet.

25 commentaires sur “[Un peu de maths?] Le paradoxe de Banach-Tarski

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  1. « Ca peut te sembler inutile du coup, mais disons que si tu cherches un truc à l’aveuglette, t’es quand même content de savoir qu’il est là quelque part et que tu cherches pas dans le vide). »
    Là, c’est le genre de choses qui peut me rendre plus tolérante à l’égard des mathématiques. Pas forcément plus sympathique ou plus jouasse à l’idée de tripoter des chiffres, mais quand même. Ça fait relativiser, quoi 😀
    Super intéressant en passant. Du coup, si j’ai compris, tout ça, c’est pour la théorie obscure, mais y’a quoi comme applications plus « concrètes » qui peuvent en découler ? 😀

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    1. Ah ben ça veut dire que j’ai réussi à exprimer ce que je voulais, c’est cool ! C’est souvent une source de moquerie envers les mathématiciens, de dire qu’on prouve qu’il existe une solution et qu’elle est unique et qu’ensuite on va se coucher sans savoir ce que c’est, et même si c’est pas tout faux, ça a quand même son utilité 😉
      Alors c’est toujours la question un peu difficile à poser en maths parce que j’ai peur de dire des conneries dans des domaines que je ne maîtrise pas du tout, mais je crois que ça enchante certains chercheurs en physique quantique, qui voient un lien avec des particules qui peuvent entrer en collision et générer plus de particules qu’au départ (Vsauce y fait brièvement allusion à la fin de sa vidéo, je n’en sais pas beaucoup plus). Disons qu’à priori, dans notre monde tangible et avec nos outils, c’est impossible à faire, mais vu qu’on n’a pas une perception infinie du monde qui nous entoure peut-être que ça se produit et qu’on n’en a pas conscience, peut-être qu’un jour on découvrira un domaine des sciences où ça a une importance capitale, et peut-être que ça va rester un délire de mathématiciens. En tous les cas, ça permet de remettre en question certaines certitudes bien ancrées (du genre, 1 n’est pas égal à 2) et à pousser d’autres sciences à voir plus large 🙂
      (Sorry, la multiplication des pains c’est pas pour aujourd’hui 😉 )

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  2. Avec « enthousiasme » oui ça décrit bien le monsieur 😉
    Je connaissais le paradoxe de l’hotel que j’aime beaucoup car il est accessible !

    Pour les histoires de sphères, il va falloir que je me repasse le vidéo. Je suivais bien jusqu’à 17:30 et le moment où il commence à bouger les trucs dans des sens que c’est pas logique pour moi (la droite, la gauche tout ça tout ça xD)

    Point bonus sur le chocolat. Pour la petite histoire, j’avais fait ça avec des gamins.
    Pour leur expliquer le truc, on leur disait « voilà ta tablette, regarde je peux prendre un carré sans y toucher » et la plupart ouvraient de grands yeux en mode « waouh c’est magique ».
    Jusqu’à ce petit à qui on l’a faisait pas qui m’a regardé droit dans les yeux et dit « mais si ce carré était là, il est pas apparu de nulle part, c’est du vol ! ». Tu seras mathématicien mon garçon xD

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    1. Le truc c’est que tu donnes des coordonnées à tes points sur la boule, genre « haut droite bas droite haut gauche », c’est les directions que tu as pris depuis, disons, le centre, pour arriver dessus. Alors si tu prends tous les points dont les coordonnées commencent par « haut », et qu’ensuite tu vas vers le bas, ça va annuler la première info de direction (parce que si tu fais haut et ensuite bas, tu reviens au point de départ), et tu vas te retrouver avec des coordonnées de plein de points différents. Après ça joue beaucoup sur le fait que toutes ces familles de points sont infinies, donc dans tous les cas c’est chaud à se représenter 😉

      Haha oui, cette histoire de chocolat est fourbe ! surtout que dans l’animation ils trichent, pour ne rien arranger 😉

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  3. Rholala mais c’est passionnant ce truc ! Merci pour le lien vers la vidéo de Vsauce, j’ai adoré son explication (et en plus j’ai tout compris, yay !) J’adore ce genre d’article, j’attends le prochain avec hâte !

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  4. maintenant, je comprends pourquoi il me manque Plein de chaussettes quand je plie le linge. Il y a une mathématicienne qui me les pique!
    En attendant, c’est… vertigineux. Jésus devait connaître le truc.

    Merci pour les vidéo et l’article plein d’humour et instructif.

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  5. Je regarderai sûrement les vidéos plus tard car là, mon cerveau vient de faire « pschiiiiiiiit ». 😀 En tout cas, c’est très intéressant (et très curieux, j’ai fait « de quoiiiiii ? » devant mon écran quand j’ai lu de quoi il s’agissait, aha), merci de prendre de ton temps pour nous expliquer. 🙂

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    1. Hahaha le « de quoiii? » c’était la réaction que j’espérais, parfait 😉
      Oh ça me fait sûrement bien plus plaisir à moi qu’à vous, pas besoin de me remercier ^^ merci à toi de t’intéresser surtout 🙂

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  6. Bon, mission accomplie !J’ai le cerveau retourné 🙂 Par contre j’ai bien pigé le truc de l’hôtel ! Du coup, je me pose une question : quand ce principe sera-t-il applicable à nos comptes en banque ??? 😂

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    1. Haha c’est normal en même temps 🙂 c’est pas des notions qu’on peut vraiment comprendre, vu qu’on est nous-mêmes des êtres finis ^^ il faut une bonne capacité d’abstraction :p mais ça me fait trop plaisir que tu me lises en tout cas ! 🙂

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