La Maison dans laquelle

Mariam Petrosyan, 2009

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Il est enfin temps de te parler de ce livre qui m’a occupée pendant trois bonnes semaines (et pour cause, il fait pas loin de 1000 pages, et ce n’est pas le genre d’histoire qu’on a envie de lire vite). J’avais d’abord été attirée par la chronique d’Ambroisie, et puis je suis tombée sur ce livre en librairie, et l’objet est absolument fascinant. Lourd, immense, tacheté d’argent, c’est un petit bijou créé avec beaucoup de soin. Pour te donner un contexte avant d’entrer dans le vif du sujet, j’ai assez envie de m’attarder sur la maison d’éditions, Monsieur Toussaint Louverture.

Je ne connaissais pas du tout cette maison d’édition, et je suis tombée sur cette interview  de Dominique Bordes, qui a créé Monsieur Toussaint Louverture. Je te conseille vivement de la regarder, c’est assez court et on sent bien tout l’amour qu’il a pour chacun de ses projets : il publie très peu de livres, parce qu’il veut être sûr qu’il a un moyen de les sublimer. Il choisit majoritairement des auteurs déjà décédés et qui n’ont pas forcément connu le succès de leur vivant, et il sélectionne méticuleusement le format, le papier, la couverture, pour en faire des objets uniques. D’ailleurs, à la fin de La Maison dans laquelle, on peut lire tous les détails de l’impression, et la page se termine par

« L’ouvrage compte 960 pages et mesure 160 mm de largeur sur 235 mm de hauteur, avec un dos de 41 mm, ce qui est déjà grand en soi; cependant, l’univers qu’il contient n’a absolument aucune limite »,

ce qui me semble une très bonne introduction pour te parler de l’histoire.

J’en dirai assez peu sur le scénario : le mieux est de s’y plonger avec le moins d’informations possibles. Je me contenterai de te dire qu’il s’agit d’une grande fresque qui retrace des moments de vie de plusieurs enfants dans une sorte de foyer pour jeunes atteints de différentes formes de handicap. Et surtout, c’est une ode à l’adolescence, à l’imagination, aux peurs, à la vie en communauté. On s’imprègne petit à petit de cette Maison, de ses habitants, et j’ai été rapidement happée par cette ambiance un peu mystérieuse, parfois franchement glauque, et toujours magique. J’ai entendu plusieurs fois l’expression « Livre-monde », je crois que c’est parfaitement approprié pour cet ouvrage : l’étendue et la complexité de l’univers de cette Maison dépassent totalement le cadre du livre, et on ne pourra pas le terminer en ayant la réponse à toutes nos questions, mais l’immersion est fascinante et on le referme avec une pointe de tristesse à l’idée de devoir dire au revoir à tout le monde.

L’histoire autour de ce projet est aussi intrigante que le livre lui-même : Mariam Petrosyan (qui est arménienne), a commencé à l’écrire pour elle, lorsqu’elle avait 18 ans, sous forme de brefs fragments qu’elle a mis dix ans à relier et à organiser. Sur la demande de quelques amis, elle en a ensuite réalisé une version imprimée, qui a circulé de main en main pendant quinze ans, jusqu’à ce qu’une jeune éditrice en tombe amoureuse et décide de le publier. Dans le livre, on peut d’ailleurs lire que « Tout comme elle dit ne pas vraiment l’avoir écrit mais y avoir vécu, s’y être réfugiée soir après soir, elle ressent un grand vide depuis sa parution ».

Alors évidemment, il n’est pas parfait, j’ai ressenti quelques longueurs par-ci par-là, peut-être n’aurait-il pas fallu le lire d’une traite pour le savourer petit à petit. Mais la force de la narration est indéniable, les personnages sont plus vivants les uns que les autres, certains événements te feront froid dans le dos tandis que d’autres te raviront, et j’ai adoré me replonger dans le monde de l’adolescence et dans cette force de sentiments, ce tumulte de questions, cette peur de grandir… Bref, je ne peux que te conseiller de découvrir cette Maison et sa logique qui se déroulera progressivement au fil du récit. C’est un petit ovni de la littérature, un livre pas banal et peut-être exigeant, mais qui marquera les esprits sans aucun doute.

Puisque j’ai peur de trop en dire, ma chronique n’est pas bien longue, mais j’en profite pour te citer la critique de Fabrice Colin que j’ai trouvée sur le site de l’éditeur, parce qu’il sait mettre des mots là où je bafouille maladroitement :

« Il y a plein d’autres trucs dingues, ici. L’adolescence est une maison, un labyrinthe, le théâtre de célébrations terrifiantes et grandioses. Mais on ne le comprend que lorsqu’on la quitte. Lorsque le temps commence à nous glisser des mains et que la “réalité” devient l’outil d’oppression ultime. Livre-monde radical, animé d’une étrangeté toute organique, La Maison dans laquelle échappe aux résumés, aux classifications et aux analyses. Il parle de tout, il accueille tout – l’aliénation, l’incertitude, le corps immense et boiteux de la jeunesse –, il vous accueille vous : c’est un refuge, un monstre, le bréviaire brûlant, des années Poutine, l’un de ces romans rarissimes capables de vous sauver de vous-même. » 

Et je conclus sur du Led Zeppelin, parce que les enfants en parlent dans le livre et que « Stairway to Heaven » rappelle bien cette idée de longue oeuvre complexe et si belle, si unique.

38 commentaires sur “La Maison dans laquelle

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  1. J’étais déjà convaincue, puisque ce titre est sur ma PAL, mais vu la taille de l’objet, j’attends le moment propice pour l’entamer. J’aime beaucoup les Editions Toussaint Louverture, qui m’ont fait découvrir des auteurs méconnus, originaux, et dont les livres sont du plus bel effet dans une bibliothèque !

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    1. Oui je te comprends ! N’hésite pas à le lire en plusieurs fois si tu commences à te lasser, il peut s’avérer très dense 🙂 J’aime beaucoup cette édition aussi, je vais très certainement en acheter d’autres !

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  2. Ce livre a l’air incroyable. Il fait partie des livres les plus urgentissimes de ma wish-list. Je sais qu’il attendra car j’ai décidé de lire avant tout les livres qui m’attendent dans mes bibliothèques, autour de mon lit, de mon canapé, sur mon bureau, un peu partout quoi, mais je le garde toujours dans un coin de mon esprit et je sais qu’il sera l’une de les premières prises quand je retournerai dans une librairie. Tu en parles très bien en plus, et la vidéo est très intéressante. Merci !

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    1. Oh merci pour le compliment ! 🙂 Oui je pense qu’il peut te plaire, et il est suffisamment unique pour valoir la peine d’essayer 🙂 (mais je comprends que tu veuilles alléger ta pile avant, c’est pas un petit morceau en plus haha) J’ai beaucoup aimé cette interview aussi, on sent vraiment l’affection qu’il porte à ses livres et il est super intéressant à écouter 🙂

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  3. C’est un bouquin qui m’attire autant qu’il m’effraie, je dois l’avoir dans ma pal depuis des lustres (et même en numérique, c’est dire) et je n’arrive pas à me lancer ! Peut-être qu’il faudrait juste que je le commence, quitte à me dire que je le lis petit bout après petit bout, ça pourrait aider !

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    1. Oui justement, certains conseillent de ne pas le lire tout à la suite 🙂 et c’est vrai que j’ai frôlé l’overdose par moments, j’avais une lecture numérique en parallèle pour ne pas le finir trop vite donc prends-le relax 🙂

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  4. J’en entends beaucoup de bien depuis sa sortie, mais je n’ai pas encore cédé (trop de livres, pas assez de temps, n’est-ce pas…). Je ne connaissais pas « l’histoire » derrière le livre, en tout cas, donc merci pour cette petite découverte, je pourrai désormais briller dans les dîners mondains grâce à toi (bon, sauf que je ne l’ai pas lu).

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  5. Combien de fois j’ai voulu acheté ce bouquin ! Mais effrayé par le mystère entourant son intrigue, le nombre de ses pages, sa bizarrerie (qui fait son charme), j’ai toujours reculé au dernier moment. Ah… faudrait vraiment que je m’y mette quand même… D’autant plus que ton avis me rend bien curieuse !

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  6. J’ai totalement oublié de commenter ton article, mais de le lire ça a ravivé mes souvenirs de ce livre encore bien bien intenses et ça me donne envie de le relire sur le champ. Puis c’est un livre qui parle à notre inconscient, qui piège le lecteur, on vit dans le livre tout comme elle a vécu dans le livre en l’écrivant. Je trouve ça très effrayant et très magique en même temps. Ce livre me fascine.

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    1. Oui je vois bien ce que tu veux dire ! J’ai peut-être été moins immergée que toi du fait que je l’ai lu sur une longue période, mais l’étendue de cet univers et des détails qu’elle a imaginés est assez fascinante… Un livre vraiment à part 🙂

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