[Interview] David Bry et « Que passe l’hiver » (#PLIB2018)

Tu le sais peut-être déjà, je fais partie du jury du Prix de l’Imaginaire 2018, et nous sommes en plein dans la phase de sélection des livres finalistes. C’est donc le moment de faire parler des livres en compétition, et dans ce cadre-là j’ai eu la chance de pouvoir discuter avec David Bry, l’auteur du magique Que passe l’hiver dont je t’ai déjà vanté les mérites et qui fait partie de la présélection.

C’est donc avec un très grand plaisir que je te propose cette interview, garantie sans spoil et avec beaucoup de bonne humeur ! Et je t’invite bien évidemment à lire Que passe l’hiver (si le message n’était pas encore clair).


Moi : On va commencer par un classique, d’où t’est venue l’idée de ce livre ? L’univers est suggéré mais étonnamment complet, est-ce que c’est une idée qui t’a suivi pendant plusieurs années, des inspirations extérieures, .. ?

David : Que passe l’hiver a parcouru un long chemin avant d’arriver à la forme que tu connais. Il m’a fallu mettre à la poubelle deux manuscrits (dont le dernier quasi terminé) avant d’arriver à l’histoire de Stig. Cette histoire s’est donc construite dans mon imaginaire sur plusieurs années. Il y a d’abord eu le roi, puis le monde de la Clairière, et enfin Stig et les clans. Tout ceci s’est beaucoup mélangé, a comme fusionné pour donner le ton général du roman. La poésie du roi a empli la Clairière, touché Stig qui en retour a donné aussi de son esprit à tout cela. Je suis ravi que cela donne un monde complet.

Moi : C’est en tout cas l’impression que ça me laisse, et d’ailleurs j’apprécie vraiment que tu ne sois pas passé par de gros paragraphes explicatifs, tout se dévoile petit à petit et nous donne envie d’en voir plus…

David : Je crois que la Clairière est un monde finalement très proche du nôtre, ce qui en facilite grandement l’appréhension. Il y a les aspects médiévaux que l’on connait, les clans des pays anglo-saxons, et rien d’absolument différent de nos contes et légendes. Je pense que ça aide les lecteurs à s’y plonger, même si c’est quelque chose que je n’ai pas réfléchi avant. Je le constate aujourd’hui, avec l’ensemble des retours que je peux avoir.

Moi : J’imagine d’ailleurs que tu ne dirais pas non à l’idée de retourner dans cette Clairière ? D’autres idées autour de cet univers, une envie de développer l’histoire des autres Clans peut-être ?

David : J’aimerais beaucoup poursuivre cette histoire oui. Parce que j’ai un vrai attachement à la Clairière, à ce monde si beau et si terrible à la fois. J’aime aussi beaucoup les personnages du roman, malgré tout ce que je leur fais subir. Dans mon esprit, Que passe l’hiver est le premier de quatre tomes. J’aimerais raconter la vie entière de Stig, de son entrée dans l’âge adulte à sa mort, un retour à l’hiver. Une bonne partie de l’histoire est déjà là dans mon esprit. Est-ce que je l’écrirai un jour ? Cela dépend de beaucoup de choses : du succès du roman, de la volonté de mon éditeur, et du temps que je pourrai y consacrer. Mais l’envie est là, oui. Vraiment.

Moi : Oh whaou, maintenant que tu m’as annoncé ça, tu es obligé de le faire ! C’est aussi un aspect qui m’a beaucoup plu d’ailleurs, ce côté cruel et parfois très sombre, qui détonne un peu avec la première impression qu’on peut se faire quand on voit la couverture et le résumé plus poétiques… C’est un mélange qui fonctionne très bien, et qui donne toute son originalité au roman je dirais.

David La cruauté est, je crois, quelque chose d’assez récurrent dans mes histoires ! Je n’ai pas, par contre, envie de parler que d’elle. J’aime ce qui, au final, est assez proche de notre vie. Des moments difficiles. Mais aussi de beaux moments.

Moi : Tu parles des personnages, est-ce qu’il y en a un auquel tu t’identifies en particulier ?

David : Je crois qu’ils ont tous un peu de moi. Je pense qu’on ne peut pas décrire un personnage de manière crédible si on n’est pas capable de s’y identifier un minimum. Comme beaucoup de monde, je peux être gentil et courageux, menteur, bon ou égoïste. Ces sentiments très communs, il « suffit » de les déployer, de les mélanger, de les accentuer ou de les diminuer pour en créer autant de personnages que l’on veut.

Cela dit, j’ai évidemment énormément d’affection pour Stig, qui est un personnage d’un incroyable courage, et dont la poésie me touche réellement. J’aime aussi le roi, qui ressemble beaucoup à Stig par certains aspects. J’adore Theudeusinde pour sa folie, Sigrune pour son esprit d’une clarté incroyable, Johan pour sa naïveté, Gaid pour la force qu’elle a. Mais je ne m’identifie à aucun en particulier.

En y réfléchissant, j’ajouterai même qu’aucun ne me ressemble, car je n’ai absolument pas envie de parler de moi dans mes romans, même s’il y a évidemment de moi dans chacun des personnages. Ce qui m’intéresse sont les sentiments, les interactions, les paroles et les actes manqués, tout ce qui touche à l’humain. Mais je ne me vois pas du tout me mettre en scène. 

Moi : Oui, je comprends ! C’est souvent une question que je me pose quand je lis, comment les écrivains font pour donner vie et crédibilité à leurs personnages. C’est tout un art de créer une identité cohérente, à laquelle les lecteurs pourront s’attacher !

David : Créer un personnage est quelque chose d’assez compliqué en effet. C’est une grosse partie du travail dans un roman que de créer toutes ces identités, toutes ces vies qui doivent traverser le roman. On doit convaincre le lecteur que ces personnages ont eu une vie avant, en auront une après. Pour cela, ils doivent avoir un passé, une histoire qui leur est propre, des envies. Et il faut raconter tout cela en plus, en parallèle de l’histoire principale. C’est difficile, mais passionnant. Ecrire un roman est passionnant de toute manière !

Moi : Je peux imaginer ! Si tu me laisses rebondir là-dessus, justement, comment se passe ta journée-type d’écrivain ? Est-ce que tu as des rituels d’écriture, des horaires de prédilection, un rythme défini ? Ou tu te laisses porter par ton inspiration ?

David : Ma manière d’écrire est un peu compliquée. Comme la grande majorité des auteurs, je travaille à côté car les revenus que je tire de l’écriture ne suffisent pas à me faire vivre. Je dois donc partager mon temps d’écriture avec mon travail salarié et ma vie de famille. J’ai beaucoup de transport pour me rendre sur mon lieu de travail. J’écris donc dans les transports, sur un petit portable. Je passe mes pauses déjeuner soit à écrire, soit à réfléchir à ce que je vais écrire. Et, une fois les enfants couchés, le soir, je me remets sur l’ordinateur. J’écris en moyenne 3h par jour. Et j’écris tous les jours (sauf le week-end, que je réserve à ma petite famille). Depuis le début de cette année cependant, je commence à me réserver des journées entières que je prends sur mon temps de travail salarié grâce aux à-valoir que j’ai pu percevoir. J’ai pas mal de projets en cours, et du coup énormément de travail.

Moi : Je profite parce que c’est un thème central sur le blog d’associer des musiques avec mes lectures, est-ce que tu aimes écrire en musique, ou ça te déconcentre ? Si oui, des artistes en particulier ?

David : J’écris toujours en musique. C’est quelque chose d’indispensable chez moi. Pour chaque roman, je construis une playlist, avant même de commencer à l’écrire, et je la complète ou l’ajuste au fur et à mesure. Ca me permet de me mettre dans l’ambiance. Je crois aussi qu’il y a quelque chose de l’ordre de l’association. Lorsque j’entends une musique de telle ou telle playlist, je me « sens » dans tel ou tel roman, comme l’odeur particulière d’une maison, d’une recette de cuisine.

Concernant les artistes, ça dépend très souvent du l’ambiance que je veux mettre dans mes romans. Par exemple, j’ai écrit 2087 avec le premier album des XX en toile de fond. C’est une sorte de pop atmosphérique très particulière que j’ai adorée, et qui collait exactement à ce que je voulais mettre dans mon roman. Pour Que passe l’hiver, il y a beaucoup de Bon Iver, de Shearwater, un peu d’Agnès Obel, de PJ Harvey, et même une magnifique chanson en breton, « Gortoz a Ran », de Denez Prigent, que j’ai trouvé hypnotisante et parfaite pour le monde de la Clairière !

Moi : C’est noté ! Puisque tu es écrivain, j’imagine que tu es aussi lecteur. Comment es-tu tombé dans le monde des livres ?

David : J’ai toujours lu. Je ne suis pourtant pas issu d’une famille de lecteurs. Mais, dès l’enfance, je dévorais les romans. Le club des Cinq, et les évadés du temps, que j’ai adoré, ce genre d’histoires. Je lisais jusqu’à plusieurs livres par semaine. Je me souviens de mes mercredis après-midi passé à lire, tout gamin, dans le canapé chez mes parents. Cette passion ne m’a jamais quittée. J’ai découvert la fantasy et la SF à l’âge de 10-11 ans (Moorcock, Ursula Le Guin, AE van Vogt, …) et ça a été le coup de foudre. Pour autant, je n’ai jamais quitté les littératures générales, avec beaucoup de mes auteurs préférés (Virginia Woolf, Stefan Zweig, Laurent Gaudé). Aujourd’hui, trouver du temps pour lire est difficile. Mais je continue !! 

Moi : Ah je te comprends tout à fait, j’ai le même parcours que toi ! Est-ce qu’il y a un de ces écrivains que tu admires que tu as eu l’occasion de rencontrer depuis ton activité d’auteur ?

David : Non, je n’ai jamais rencontré ces auteurs. Je n’ai jamais essayé. Et, d’ailleurs, je ne saurais pas trop quoi leur dire à part, bêtement, que je suis béat d’admiration et que je leur dois de très, très beaux moments.

Moi : Haha je crois que c’est le dilemme de tous les lecteurs dans les salons du livre, vouloir approcher les auteurs mais ne pas savoir quoi leur raconter !

David : C’est aussi un peu compliqué pour moi, qui ne suis pas forcément hyper bavard. Cependant, j’aime beaucoup les salons et les dédicaces. On parle de ce qu’on aime lire, les uns, les autres, on se donne des titres de romans. Et puis, évidemment, ça fait toujours extrêmement plaisir quand quelqu’un vient pour une dédicace car il a aimé l’un de nos romans précédents.

Moi : Ah, c’est le moment de balancer des titres justement. Y a-t-il des livres que tu relis régulièrement, ou que tu sais que tu reliras un jour ?

David : Je n’aime pas relire un livre. Une fois que je connais la fin, je n’y trouve aucun intérêt… sauf pour Les vagues, de Virginia Woolf, que j’ai lu 4 ou 5 fois, et que je sais que je relirai encore. Ah, et les poésies de W.B. Yeats (alors que je déteste lire de la poésie), dont je ne me lasse pas non plus. 

Moi : Et est-ce qu’il y a un livre que tu aurais aimé avoir écrit ?

David : C’est une question difficile, car en général ce que j’aime lire est très différent de ce que j’aime écrire, et que je ne suis pas suffisamment prétentieux pour me pâmer à la lecture de mes propres romans ! Pour autant, des histoires comme La mort du roi Tsongor de L. Gaudé, ou bien Hypérion/Endymion de Dan Simmons m’ont marqué, et se rapprochent sans doute de ce vers quoi j’essaie de tendre.

Moi : Dans une direction un peu différente, y a-t-il un livre que tu n’as pas encore osé attaquer ?

David : Il y en a plein. Les classiques français (Zola & compagnie), qui me rebutent énormément et vers lesquels, pour l’instant, je sais que je n’irai pas. En dehors de ce type de littérature, je suis assez diversifié, en dehors du polar dont je ne suis pas forcément fan, et des romans d’horreur qui me font… trop peur.

Moi : J’arrive tranquillement au bout de mes questions, dans la phase de « conclusion »… Si tu devais te décrire en trois mots ?

David : Trois mots, pas facile. Je dirais alors… Passionné. Sincère. Et travailleur !

Moi : Et pour s’adresser à ceux qui ne te connaîtraient pas encore : si tu ne devais recommander qu’un seul de tes livres, pour entrer dans ton univers et découvrir ta plume?

David : La question n’est pas facile, d’autant que j’aime bien changer d’univers, que ce soit les contes à l’humour noir des Contes désenchantés, le monde post-apo de 2087 ou la poésie que j’ai essayé de mettre dans Que passe l’hiver. Si je devais choisir, peut-être plus ce dernier alors, parce que je crois qu’il est ce que j’ai pu faire de plus abouti à ce jour en termes d’écriture.

Moi : Tu disais tout à l’heure avoir plusieurs projets en route, tu peux déjà en parler un peu ?

David : Pour certains, oui, avec plaisir. Je suis en train d’écrire mon neuvième roman, qui s’intitule (pour l’instant) La princesse au visage de nuit. C’est une histoire contemporaine, qui raconte le retour d’un jeune homme dans le village de son enfance après la mort de ses parents. Il va être confronté à son passé, à de mystérieuses disparitions d’enfants dont lui-même avait failli être victime. Ce roman est une sorte de conte de fées pour les grands, quelque chose que j’essaie d’écrire à la frontière entre l’ombre et la lumière. 

A côté de ça, je vais entamer dans les semaines à venir les corrections de mon prochain roman à paraître : Le garçon et la ville qui ne souriait plus. Ce roman se passe dans un Paris uchronique du 19ème siècle, où l’Eglise, au faîte de sa puissance, a parqué les « anormaux » (les fous, les obèses, les homos, etc) dans une « cour des miracles » sur l’île de la cité. Le roman raconte l’histoire de Romain, un jeune homme de bonne famille, qui va découvrir un complot visant à éradiquer ces anormaux. La sortie est prévue tout début 2019.

En parallèle, je travaille sur un projet encore secret (car pas annoncé), qui n’est pas de la littérature mais qui correspond à un autre de mes rêves de gamin. Je pourrai en dire plus d’ici 2-3 mois normalement. Et, enfin, je compte démarrer d’ici le second semestre mon dixième roman, quelque chose entre le roman d’aventure et la fantasy. Voilà !

Moi : Tu as déjà eu envie de changer de format, et de te tourner vers du théâtre, du scénario, du jeu vidéo… ?

David : J’aime beaucoup le théâtre, j’ai d’ailleurs écrit plusieurs pièces qui ont été jouées lors de mes années de lycée. Mais j’avoue qu’aujourd’hui je suis très attaché à la forme du roman, dont l’écriture est à chaque fois une sorte de marathon tellement c’est exigeant et prenant. Après, je ne m’interdis pas de faire quelques incursions dans d’autres domaines, et les scénarios ou le jeu vidéo peuvent en être. Mais je sais que je ne lâcherai pas les romans.

Moi : Très bien, j’arrive au bout de mes questions ! Un dernier mot pour la route, une question que tu aimerais toujours qu’on te pose et qui ne sort jamais, par exemple ?

David :  Il n’y a pas de question que j’attends particulièrement, non. Désolé !! Et mon dernier mot, ben ça sera « Merci ». Merci pour la nomination au prix qui m’a vraiment touché, et merci aussi pour cette interview.

#ISBN:9782918541585

13 commentaires sur “[Interview] David Bry et « Que passe l’hiver » (#PLIB2018)

Ajouter un commentaire

  1. ET moi aussi, je vous dis Merci pour cette interview.
    Je vois que je ne suis pas la seule à ne pas savoir quoi dire devant un auteur….
    Une chouette idée que voilà. J’espère que tu nous en offrira d’autres.

    Aimé par 1 personne

  2. A reblogué ceci sur Les passions d'Aelyet a ajouté:

    Bonjour à tous

    Je vous fais suivre l’interview très bien fait d’une copinaute juré du PLIB2018 a faite avec l’auteur du roman Que passe l’hiver.
    Ne faisant pas partie des romans en ma possession cela vous donne un aperçu supplémentaire sur l’un ds titres afin de m’aider à n’en choisir que 7 pour le 28 février 2018.
    N’hésitez pas à me donner vos favoris en commentaires et à m’expliquer pourquoi il faudrait que je le mette en avant et/ou le lise ABSOLUMENT.

    Aimé par 1 personne

  3. C’était vraiment intéressant, merci à vous deux d’avoir pris de votre temps pour cette interview ! 🙂

    Si ton but était de nous intriguer un peu plus, ça a marché, aha. Et rassurée de voir qu’un auteur ne sait lui-même pas quoi dire face à d’autres auteurs pour des dédicaces… Je me sens moins seule ! Ses journées ont l’air assez chargées, bon courage à lui.

    Et puis je crois qu’on l’a noté toutes les deux, mais… Il aime Laurent Gaudé, héhé. (pardon)

    Aimé par 1 personne

  4. Bonjour et merci pour cette interview. Je l’ai trouvé vraiment intéressante et cela m’a permis d’en apprendre davantage sur cet auteur. Que passe l’hiver est dans ma pal, à voir si j’ai le temps de le sortir à temps pour la phase de présélection. Bonne journée et belle lecture!!!

    Aimé par 1 personne

Donne-moi ton avis !

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑