Underground Railroad

Colson Whitehead, 2017

Ce livre a fait beaucoup de bruit à sa sortie, puisqu’il a déjà gagné deux prix et qu’il va être adapté en film. Tout ce que je savais, c’est qu’il parlait d’esclavagisme aux Etats-Unis, et lorsque Ingrid m’a proposé de le découvrir avec elle, je n’ai pas hésité (tu peux cliquer sur son nom pour voir sa chronique !). C’était notre deuxième lecture commune, mais la première où on lisait vraiment le livre au même moment, pour échanger nos impressions à chaud, et elle a eu l’excellente idée de proposer une chronique qui gravite autour de nos mails, c’est donc l’occasion de tester quelque chose d’un peu différent.

Deux mots sur l’histoire avant toute chose : Underground Railroad te propose de suivre les traces de Cora, une jeune esclave qui entend parler de ce réseau de chemins de fer souterrains qui permettrait de fuir vers des Etats abolitionnistes. Elle décide alors de tenter sa chance, à la recherche de sa liberté, tout en sachant que ce voyage ne sera pas de tout repos et que beaucoup trouvent la mort sur leur chemin…

J’ai retravaillé un peu l’échange pour éviter les spoils (j’ai aussi raccourci les mails d’Ingrid pour que tu puisses les découvrir chez elle !), je te retrouve plus bas pour quelques informations supplémentaires sur le livre !


Bonsoir Coline,

Tu as pu commencer la lecture d’Underground Railroad ?

De mon côté j’ai bien avancé, j’en suis à plus de la moitié.

C’est, il faut dire, une lecture rendue facile par la fluidité de l’écriture de Colson Whitehead. Et puis les péripéties vécues par l’héroïne donnent à l’intrigue un rythme entraînant. Pourtant, je me sens un peu maintenue à distance de l’histoire et des protagonistes, sans trop savoir pourquoi. […]Et aujourd’hui, j’ai eu une drôle de sensation pendant ma lecture. […] C’est comme si l’auteur avait légèrement caricaturé les situations vécues par Cora, et le comportement des personnages auxquels elle a affaire, pour mettre en évidence le caractère presque incroyable de l’ignominie du monde dans lequel elle est plongée.

Il me tarde d’avoir tes premières impressions,

Bonne soirée.. et bonne lecture !

Ingrid


Hello!

Je l’ai commencé oui, je suis moins avancée que toi mais je commence la partie « Ridgeway »  (je le lis en anglais, je ne sais pas si elles ont le même nom !) […].

Je vois ce que tu veux dire, pour l’instant je ne me sens pas vraiment concernée non plus : je trouve l’histoire intéressante et j’apprends des choses, mais je n’ai pas été spécialement touchée par les premiers événements, ça s’est passé trop vite et d’un point de vue trop externe… J’attends de voir la suite !

Là j’arrive à peine dans l’action, ils viennent de monter dans le train alors je n’ai pas encore cette impression d’uchronie, même si je peux imaginer pourquoi tu le ressens comme ça.. 

Je te renvoie un mail rapidement.
Belle fin de journée ! 
Coline 


Bonsoir Coline,

C’est intéressant de voir que nous avons le même ressenti en VO et en version traduite.

Je m’approche de la fin. Je trouve décidément que le personnage de Cora n’est qu’effleuré. […] Je trouve ça dommage…

En revanche, je ressens de plus en plus la volonté de l’auteur de faire de son histoire celle d’un héritage, l’héritage d’une nation américaine bâtie sur l’injustice et la barbarie, avec comme fondations la spoliation des terres indiennes et le massacre de ses populations, puis cette horreur de l’esclavage. […]

A +…

Ingrid


Hello!

Je viens tout juste de le terminer !

Finalement, je me suis vraiment laissée embarquer dans l’histoire ! J’ai un peu eu l’impression que l’histoire de Cora n’était qu’un prétexte pour présenter la réalité, les situations affreuses et la part sombre de l’histoire des USA, donc je ne me suis pas énormément attachée à elle mais j’ai quand même été captivée par l’histoire en elle même et par les rebondissements.

Cest un livre cruel, efficace, qui ne laisse pas beaucoup de répit et qui ne perd pas de temps en sentiments… Alors je m’attendais à une lecture plus déchirante, mais en même temps ça montre bien la condition de ces gens qui n’ont pas le temps de s’apitoyer, pas le temps de faire leur deuil, qui doivent juste continuer à fuir en espérant trouver mieux… Sur ce plan là je trouve l’ambiance très réussie !

Bref, une belle lecture pour ma part.

Et toi alors, verdict ? 


Salut Coline,

Du coup, tu l’as terminé avant moi, il me reste quelques pages, et j’aime beaucoup la dernière partie, que je trouve plus intense, plus vibrante que le reste.

C’est vrai ce que tu écris à propos du personnage de Cora, je me suis fait la même réflexion que toi, à propos de cette distance qui reflète en effet une rudesse et un pragmatisme inhérents à son existence douloureuse, plombée d’une insécurité permanente, suite d’espoirs cruellement déçus.

Son parcours, plus qu’un moyen de l’approcher et de la connaître, semble servir de démonstration, de moyen pour l’auteur de nous faire traverser des lieux et des contextes représentatifs des diverses facettes de la condition noire à l’époque de son récit. […]

Je confirme ce que je t’écrivais la dernière fois : avec le recul, ce qui m’a paru le plus intéressant dans ce roman, c’est que Colson Whitehead aborde cette abomination comme un legs certes embarrassant, mais avec lequel il faut bien, malgré tout, essayer de se construire. […]

Passe une bonne soirée, je m’en vais de ce pas finir les quelques pages qui me restent !

Ingrid.


Tu l’as probablement compris à travers cet échange, nous avons finalement beaucoup apprécié cette lecture. J’ai pris un peu de temps avant de vraiment entrer dans l’histoire, à cause d’une démarche assez factuelle qui m’a pris de court, mais c’est un parti pris qui s’avère très intéressant et qui ne dessert ni le propos ni l’histoire.

Il est utile de savoir que Colson Whitehead a pris quelques libertés en écrivant ce livre, puisqu’il a décidé d’interpréter au premier degré le nom de « chemin de fer souterrain », qui ne désignait à l’époque pas un réel chemin de fer, mais plutôt un réseau de galeries. Dans Underground Railroad, on a affaire à un vrai train, et chaque Etat que Cora va visiter symbolise une autre possibilité d’avenir pour les esclaves (certains plus roses que d’autres), ce qui ne reflète pas exactement la réalité de l’époque mais permet d’aborder beaucoup de thèmes de manière vraiment efficace. Si tu as envie de lire une interview de l’auteur, je peux te conseiller celle-là, où il dit justement :

Je ne pouvais pas écrire un roman historique totalement réaliste sur un esclave qui fuit vers le nord. Je souhaitais utiliser des éléments fantastiques et différentes strates de l’Amérique pour parler d’une histoire plus large. La structure fantastique me permettait d’instiller des éléments comme l’eugénisme par exemple, qui vient de mes lectures universitaires. A partir du moment où j’avais décidé de rendre réelle la métaphore de l’«Underground Railroad», je pouvais jouer avec les temps et les éléments.

Bref, en ayant ces informations en tête, je pense que tu peux te lancer sans plus attendre dans cette lecture et passer un excellent moment ! J’espère que ce format un peu différent de chronique ne te déroutera pas trop, et je te laisse entre les mains d’une valeur sûre, ce cher Johnny Cash, avec une chanson qui fait référence aux plantations et aux esclaves.

28 commentaires sur “Underground Railroad

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  1. Bravo pour cette chronique à deux voix qui renouvelle le genre « blog littéraire » d’une façon tout à fait originale. A propos d’Underground Railroad, j’ai apprécié le renouvellement du genre « livre sur l’esclavage » justement. J’ai d’ailleurs intitulé mon article « On croyait tout savoir sur l’abjection… » (https://wp.me/p3eonq-wA). Je trouve que ce livre aide à comprendre ce qu’était la réalité de l’esclavage. Comment est le style en anglais ? (pas très recherché à mon goût dans la traduction).

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    1. Merci ! Tout le mérite de l’idée revient à Ingrid 🙂 Oui, j’avais d’ailleurs lu ta chronique avant de lire le livre, elle m’avait donné bien envie ! C’est un anglais abordable, dans un style qui va droit au but. Pas une grande recherche au niveau du vocabulaire donc j’ai l’impression, mais ça colle bien avec l’ambiance et le message 🙂

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    1. Oui, j’ai hésité mais je trouvais sympa d’avoir l’échange en entier, même si j’ai coupé des bouts pour encourager à voir sa chronique aussi 🙂
      Contente de savoir que tu as aimé, c’est un roman qui vaut la peine !

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  2. Étrangement, je n’en avais pas entendu que du bien (des gens ont été déçus), cette chronique ne me fait pas complètement désespérer sur cette lecture, aha.

    Je lui donnerai peut-être sa chance un jour, qui sait 🙂

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  3. Je l’ai lu la semaine dernière, et pour ma part, je suis assez rapidement entrée dedans. Je suis quelqu’un de très visuel, et j’ai longtemps été assez fascinée par ce pan de l’histoire des Etats-Unis, du coup j’ai été très vite immergée. Je prépare une chronique d’ailleurs (après une période super compliquée, mes crises se sont enfin calmées, je suis JOIE, d’ailleurs, quand tu veux pour la suite de notre lecture commune). Je vous rejoins cependant sur le personnage de Cora, finalement seulement effleuré, elle m’a fait l’impression d’être plus un porte-parole, un prétexte qu’un personnage, mais finalement, c’est assez judicieux au vu de ce que l’auteur a voulu faire avec ce livre.

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    1. Oh, trop contente que tu ailles mieux !! Je me réjouis de lire cette chronique 🙂 c’est trop cool qu’il t’ait plu et ça me fait plaisir qu’on ait à peu près le même ressenti ^^ oui c’est ça, j’avais juste pas les bonnes attentes au départ et quand j’ai compris ce qu’il essayait de transmettre ça s’est bien mieux passé 🙂
      On reprend la Faille en mai ? ^^

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    1. Oui, je n’avais pas eu l’info avant de le lire et je me posais pas mal de questions aussi ! Peut-être qu’un petit mot de l’éditeur au début aurait pu aider à l’aborder avec la bonne attitude 🙂

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