Carrie

Stephen King, 1974

Stephen King commence à être bien présent sur ce blog, et cette fois c’est ma chère Ada qui m’a proposé de découvrir Carrie avec elle. Sachant qu’il s’agissait du tout premier roman de l’auteur, j’étais bien curieuse de voir le résultat !

Carrie a seize ans, et c’est depuis toujours le souffre-douleur de la classe. On la trouve étrange, laide, bizarre, elle vit seule avec sa mère très religieuse, elle ne sait pas comment s’adapter au monde qui l’entoure. Mais lors d’un épisode d’humiliation particulièrement violent, elle va réaliser qu’elle a des pouvoirs de télékinésie et qu’elle n’est pas aussi impuissante que prévu…

J’ai été très étonnée de la taille de ce livre, qui dépasse à peine les 200 pages. Venant de King, j’ai été plus habituée à lire quatre ou cinq fois plus gros, et j’étais curieuse de voir comment il s’y prendrait pour installer son ambiance et ses personnages en si peu de temps. Il faut savoir que Carrie se destinait à être une nouvelle, à une époque où King vivait entre autres de la publication régulière de textes courts. Mais les circonstances ont fait que cette histoire débouche sur son premier roman, et si ce n’est pas le plus percutant qu’il ait écrit, on y retrouve déjà une bonne partie des ingrédients qui font son succès et sa patte bien particulière.

Je suis obligée de parler d’abord des personnages, qui sont comme d’habitude une des forces de ce cher Stephen. Pour construire Carrie, il s’est inspiré de deux filles qu’il a connues dans son enfance, qui ont été victimes de harcèlement scolaire et n’ont pas survécu jusqu’à la fin de leurs études (maladie d’un côté, suicide de l’autre). Bien entendu, aucune n’avait les moyens de se « venger », contrairement à Carrie. C’est un constat bien désolant de voir qu’en quarante ans, le harcèlement scolaire est toujours présent, et à aucun moment je n’ai eu l’impression que le récit « datait ». D’ailleurs, King n’a pas eu besoin de décrire en détail les premières années d’école de Carrie, on voit très bien quel genre d’épisodes elle a dû vivre pour en arriver là.

Côté psychologique, pas de doute, on est déjà dans du King. Les personnalités sont fouillées, les réactions sont parfois si réalistes qu’on a de la peine à les comprendre, on ne veut pas imaginer qu’on pourrait en arriver à de telles extrémités. Comme dans CaUnder the Dome ou Shining, les personnages sont plongés dans un tel degré d’horreur qu’ils risquent à tout moment de vriller et de sombrer dans la folie, et c’est bien ce qui glace le lecteur, bien plus que les passages horrifiques en soi. Sur ce plan-là, c’est une belle réussite et je garde vraiment en mémoire deux scènes qui m’ont marquée et tétanisée.

D’ailleurs, sans surprise, ce sont ces deux mêmes scènes qui n’apparaissent pas (ou qui sont en tout cas modifiées) dans l’adaptation cinématographique de Carrie. Une fois de plus (je faisais d’ailleurs dernièrement la réflexion concernant Shining), le film fait le choix de baisser l’horreur psychologique pour rajouter du gore et c’est bien dommage pour l’histoire de base qui tombe un peu dans le premier degré.

Un choix qui m’a étonnée et qui a finalement très bien marché, c’est l’ajout de faux extraits de journaux et de livres qui expliquent l’épisode de Carrie des années plus tard. Tout au long du récit, on découvre des témoignages des survivants et des éléments d’enquête sur ses pouvoirs de télékinésie, au point de connaître à l’avance le dénouement du livre. Enfin, c’est ce qu’on croit, parce que le final va s’avérer bien plus horrible et impressionnant que prévu. Il n’empêche que ça m’a renvoyée à une vidéo que Audrey du blog Light and Smell avait partagée dernièrement, et qui parle du phénomène de spoil.

Je fais partie de ces gens qui n’aiment pas qu’on leur révèle la fin d’un livre  ou d’un film avant de l’avoir commencé, parce que je préfère qu’on me surprenne et j’aime découvrir l’oeuvre avec un regard neuf, comme l’auteur s’y attend en construisant son histoire. Mais je sais qu’il y a des gens qui ne sont pas dérangés par les spoils, qui vont parfois lire la dernière page en avance, ou lire des résumés sur wikipedia avant d’attaquer un film, et les propos de cette vidéo sont justement très intéressants. Je t’invite à la regarder, mais la conclusion est que le spoil ne gâche pas le plaisir, au contraire on peut se concentrer sur d’autres éléments que juste l’envie de connaître la fin et apprécier autrement la construction du scénario, les indices, la structure.

Et effectivement, dans Carrie, le fait de dévoiler en avance les événements du dernier tiers du livre n’ont en rien gâché mon plaisir. C’est même encore plus glaçant de savoir qu’une grande partie des gens va mourir et de se sentir impuissant, de les voir se réjouir et d’espérer bien vainement qu’on a menti et qu’il ne leur arrivera rien. Je crois que le récit aurait été bien moins prenant sans ces ajouts, qui une fois de plus le sortent de sa « simple » condition de livre d’horreur.

Bref, de toutes mes lectures de King ce ne sera peut-être pas la plus marquante, mais je suis assez étonnée en bien de la qualité de ce premier roman, que j’imaginais bien plus maladroit et bien moins abouti. On peut lui reprocher des rôles féminins très mesquins par opposition aux rôles masculins plus passifs, même si ça a l’air de faire écho à l’expérience des deux jeunes filles qu’il a connues, heureusement que certains personnages comme Sue ou la prof de sport remontent un peu le niveau. On ne peut en tout cas pas lui reprocher d’être tombé dans la facilité, grâce à l’accent mis sur la psychologie de tout ce beau monde, un final glaçant et ces apartés pseudo-scientifiques qui rajoutent une dimension au récit en nous annonçant la fin et en renforçant notre sentiment d’impuissance. J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce premier livre d’un auteur qui me plaît de plus en plus, j’ai adoré échanger avec Ada (en particulier sur ces fameuses scènes) et confronter nos avis, et une fois de plus, King a su me surprendre, donc pour moi le contrat est largement rempli.

Tu commences à me connaître, je me réfugie dans la pop/rock des années 80 pour casser l’ambiance angoissante, alors que dirais-tu d’un petit « Sunday Bloody Sunday » ? Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que le titre a un vague rapport avec le propos…

 

 

 

32 commentaires sur “Carrie

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  1. Parfait choix musicla à mon sens.
    Je suis comme toi, j’aime être surprise par la fin et si c’est bien fait, Carrie doit être géant dans cette appréhension. Tu sais que je compte lire quelques King et celui-ci en fera donc partie.

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  2. Oh, cette musique pour conclure, j’ai failli éclater de rire au bureau ! ^^ J’avais beaucoup aimé cette lecture, que j’ai préféré aux adaptations (comme souvent pour les King dans mon cas). C’est vrai que les coupures de presses sont vraiment intéressantes, elle donne du Cachet à l’histoire.

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  3. J’arriiiiive ! 😀

    « Ma chère Ada » ? Je suis honorée 😀

    Plus sérieusement, je trouve ta chronique super, tu as même rappelé le contexte dans lequel King a écrit ce roman, c’est vraiment très intéressant. Et le choix de la musique, je dis oui ! Je lirai (comme d’habitude) tes futures chroniques sur d’autres livres de King avec un oeil nouveau.

    Et j’ai été très contente de faire cette lecture commune avec toi 🙂

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    1. Oh mais merci pour ces compliments, je trouve que nos chroniques se complètement bien 🙂 Et j’ai adoré échanger avec toi ! (On s’est envoyé une bonne série de mails en fait, je regardais ça tout à l’heure, on a été bien bavardes 😀 )
      Plein de bises ! J’espère qu’on remet ça vite ^^

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  4. C’est avec ce titre que j’ai découvert Stephen King. Certaines scènes m’ont marquée, la scène finale, bien sûr, mais aussi certaines a priori moins intenses, mais qui ont dû s’incruster dans ma cervelle de 15 ans sans doute bien plus impressionnable que celle de mes 45 !!
    Sans doute pas son meilleur titre, c’est vrai, mais il aura toujours pour moi une dimension particulière, comme introduction à l’univers DU « KING » !
    J’ai aussi vu le film à la même époque, que je n’ai jamais eu l’occasion de revoir mais je suppose qu’il a dû vieillir un peu..

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    1. Oh là là, à 15 ans j’imagine bien ! Même Carrie était plus âgée x)
      Je te comprends, j’ai l’impression que le premier garde toujours une place toute particulière (moi c’était Dôme, pour l’instant il est indétrônable dans mon classement des bouquins de King haha)
      D’après les extraits que j’ai vus, il a bien vieilli oui ! un peu comme la première version de Ca ^^

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  5. Vous êtes vraiment trop fortes. J’avais commencé Carrie il y a longtemps et j’avais laissé tombé. Et voilà que j’ai envie de le reprendre pour vérifier si mes goûts n’auraient pas changé ! C’est malin. Comme si je n’avais pas assez de lectures prévues ! ^^

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      1. Je ne sais plus, j’étais au lycée. J’ai déjà du mal de me rappeler d’un livre lu et aimé, alors un livre abandonné… Je me souviens juste ne pas avoir accroché. Comme pour Cujo, je me rappelle d’une lecture laborieuse, d’un ennui profond et d’une impression de tourner en rond, mais je serais bien incapable de te donner un avis plus poussé.

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  6. Je n’ai toujours pas osé franchir le pas avec King parce que je suis une grosse flippette, mais je sais que je vais sûrement finir par craquer un jour parce que je suis trop curieuse^^
    En tous cas contente de voir que tu as aimé ce premier roman, j’ai beaucoup aimé ton analyse ! =)

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  7. Oh, un des livres que je préfère chez King ! Je ne savais pas qu’il s’inspirait de deux personnes réelles. A propos du spoiling, je suis une fan inconditionnelle de Hitchcok ( j’ai vu tous ses films, héhéhé), c’est le maître du suspense. Il disait en substance ceci : une bombe explose tout à coup, vous avez une fraction de surprise mais si vous savez qu’il y a une bombe et qu’elle va exploser, là c’est du suspense. Plus de 50 ans auparavant, il savait que connaître l’issue ou une partie de l’histoire en avance n’enlevait rien au plaisir de la découverte.

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    1. Oh c’est hyper intéressant ces informations !! Il faut que je rattrape la plus grande partie de la filmographie de Hitchcock mais j’adhère vraiment à ce qu’il dit du suspense 🙂 pour le spoil en soi par contre, je trouve que c’est un peu différent parce que si un ami te révèle l’existence de cette bombe, ce n’est pas l’auteur qui a voulu que tu découvres l’histoire comme ça, et c’est ce qui me dérange 🙂

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      1. J’espère que tu aimeras les films d’Hitchcok, justement dans la vidéo que tu as publié sur le spoiling, il s’agit d’une scène très célèbre de son film  » Psychose », l’art de suggérer la terreur avec des images innocentes. Je comprends la différence du spoiling. Pour tout t’avouer, je déteste aussi cela et si comme le suggère les psy on apprécie pas autant, c’est justement parce que j’aime relire, revoir ce qui m’a plu pour effectivement encore plus apprécier. 🙂

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  8. Ah bah tiens, j’ai justement relu ce roman il y a moins d’un mois. C’était -sur les conseils de mon pôpa- mon premier King, mais comme je l’avais lu il y a +/- 15 ans, je n’en gardais presque aucun souvenir.
    En bref, c’était chouette : rien de spécial à dire, c’est du bon King. Malgré le thème fantastique/épouvante, la fin ne m’a pas laissé une impression d’horreur, mais bien de tristesse, snif 😦

    J’en ai profité pour regardé le film (le vieux, pas le remake) juste après.
    Bah j’ai été déçue (même s’il y avait John Travolta dedans ♥).
    Je ne peux me défaire de l’impression que le film a subi de sacrées coupes au montage (et si ce n’est pas le cas, c’est sacrément merdique). Il y a pas mal de moments calqués sur le bouquin, mais il manque plein de trucs qui installent le contexte.
    Du coup les motivations des personnages sont obscures pour qui n’a pas lu le livre : la demande de Sue à Tom, pourquoi il accompagne Carrie, etc.
    Bill n’est pas assez méchant, Tom pas assez gentil, il n’y a pas vraiment le côté « découverte de pouvoirs latents » par Carrie, …
    En résumé : film qui aurait dû avoir plus de personnalité et s’éloigner du livre, ou être plus développé (surtout qu’il fait à peine 1h30, il y avait de la marge).

    (Bon, désolée, tu parlais surtout du livre et j’ai un peu digressé ^^.)

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    1. Totalement d’accord, la fin est vraiment juste triste :/
      Ah ça m’intéresse!! Je n’ai pas beaucoup parlé du film parce que je n’ai vu que des extraits, mais j’avais déjà un peu cette impression alors tu me confirmes mes doutes. C’est difficile de faire une bonne adaptation vu qu’on ne pourra jamais tout mettre (je l’ai prouvé scientifiquement, tout livre qui dépasse la taille de The Great Gatsby subira des coupures haha), et faire un résumé du livre en enlevant tout ce qui le rend unique et intrigant, bizarrement c’est pas la solution 😁 en tout cas pas avec King, parce qu’il ne fait pas d’horreur gratuite et que ses scènes choc sont toujours amenées par un contexte qui prend un peu de temps à se mettre en place. En général, ils ne gardent que les passages d’action, et ils n’osent même pas mettre les scènes les plus extrêmes, alors il reste un entre-deux un peu nul…
      Mais bon, Travolta 😀

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  9. Tu m’apprends qu’il s’est inspiré de deux filles existantes. Je trouve le profil de Carrie réaliste et tellement humaine dans sa façon de réagir. La souffrance de la protagoniste est rapportée avec justesse, cela m’a marquée.

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