Lucky Boy

Shanthi Sekaran, 2017

Lucky Boy

J’ai eu la chance de recevoir en avance ce magnifique livre qui sort demain en version française, et je suis très contente de pouvoir t’en parler juste avant sa sortie parce que je pense qu’il va faire beaucoup de bruit et que je peux déjà t’encourager à aller l’acheter. Merci donc à Milady, et prépare-toi déjà à noter ce titre, parce que je compte bien te convaincre d’ici la fin de cette chronique !

Lucky Boy, c’est une magnifique et déchirante histoire familiale. D’un côté, on a Soli, une jeune mexicaine qui aspire à une autre vie et quitte ses parents pour essayer d’entrer illégalement aux Etats-Unis. Elle veut rejoindre sa cousine, qui a réussi en Californie, et accomplir son propre rêve américain. De l’autre côté, on a Kavya, une femme indépendante et peu respectueuse des codes de sa famille indienne d’Amérique, qui vit à Berkeley avec son mari Rishi et qui cherche désespérément à avoir un enfant. Tu t’en doutes, les destins de ces deux femmes vont se croiser, pour le meilleur et pour le pire.

Ce livre a beau être un pavé (presque 600 pages en grand format), il se lit avec beaucoup d’aisance. La plume, vraiment fluide, facilite grandement le travail, et l’histoire est si immersive que j’ai avalé les chapitres sans m’en rendre compte, pour finalement terminer ce roman en près de 24h. (J’étais en vacances, ça aide, mais il reste captivant). Je ne peux pas dire qu’il ait un rythme très soutenu, mais ce n’est pas pour autant qu’il souffre de longueurs : c’est une histoire qui prend son temps, qui pose les personnages et le cadre avec beaucoup d’application, et toutes les scènes sont importantes pour créer cet attachement et cette implication de la part du lecteur.

Bien entendu, son énorme point fort, c’est la construction des personnages : j’ai aimé autant Soli que Kavya, ce sont des femmes fortes et terriblement bien écrites. Leur quotidien est tout à fait différent (Soli est clandestine, fait le ménage dans des maisons aisées et se bat jour après jour pour maintenir son niveau de vie, tandis que Kavya est confortablement installée dans son quotidien, son mari travaille à la Silicon Valley et leur combat ne se joue pas sur le plan financier) mais la même fougue les réunit, la même hargne d’atteindre leur but et la même capacité à déplacer des montagnes pour y parvenir.

Les personnages secondaires contribuent également à colorer ce roman : Rishi, le mari de Kavya, avec ses doutes et sa capacité à se noyer dans le travail pour fuir les problèmes, la cousine de Soli qui semble tout savoir sur la vie et mène sa barque depuis huit ans aux Etats-Unis, la mère de Kavya et ses traditions indiennes d’Amérique, qui est en éternelle lutte contre les idées de sa fille mais s’avère extrêmement touchante dans les moments difficiles… Ce n’est qu’un échantillon de l’entourage de ces deux héroïnes, et tous ont leur importance, leur profondeur et leur personnalité propre.

Mais surtout, au-delà de ce cadre bien posé et de ces personnages très vivants, ce livre est fantastique parce qu’il soulève des questions douloureuses sur l’immigration. C’est une histoire engagée, qui pose le contexte de manière très intelligente : pour une fois, on a les deux points de vue sur la question épineuse des parents d’accueil et des droits des immigrés, des familles déchirées à la frontière et des liens du sang. Et le fait de comprendre aussi profondément les deux extrémités du spectre donne à toute cette problématique une dimension fascinante : difficile de ne pas se remettre en question, d’avoir un avis tranché et de ne pas se révolter que des gens soient confrontés à autant de douleur, d’un côté comme de l’autre.

Le côté engagé de ce livre est d’ailleurs tout à fait assumé : comme on peut le lire sur le site officiel de Shanthi Sekaran, tous les bénéfices du mois de juillet de cette année ont été reversés à une association d’aide aux familles immigrées séparées à la frontière. Le roman a eu un succès retentissant aux Etats-Unis et s’est retrouvé dans la liste de plusieurs prix littéraires, et il est aujourd’hui question qu’il soit adapté sous forme de série TV (d’après ce que j’ai vu, Eva Longoria avait mis une option sur ce scénario, mais il semblerait qu’il soit de nouveau disponible, affaire à suivre donc).

Pour son aspect de roman choral qui choisit des sujets polémiques et nous montre différents points de vue en brisant certains tabous, Lucky Boy me fait penser au travail de Jodi Picoult, qui maîtrise parfaitement ce genre (je te renvoie à ma chronique de Handle with care, A l’intérieur ou Mille Petits Riens, j’y déballe déjà suffisamment mon intérêt pour sa plume et ses combats). Mais Shanthi Sekaran n’a rien à envier à cette auteure à succès sur ce plan-là : son histoire, dans une écriture peut-être un poil plus expérimentale et moins académique, est tout à fait crédible, cohérente, puissante et remuante, et si elle continue dans cette lancée, je ne doute pas qu’elle fera encore beaucoup de bruit avec ses futures publications.

Bref, il faut que tu lises ce livre. Je trouve génial que ce sujet soit mis en lumière, et de la plus belle des façons. Malgré le combat perpétuel de Soli et Kavya, le roman a une atmosphère très douce et emplie d’amour familial, et la tendresse qui se dégage de l’histoire rend le message plus fort encore, et plus percutant. Il ne juge jamais, il se contente de te montrer deux parcours de vie qui sont tout aussi importants l’un que l’autre, et cette constante oscillation entre deux quotidiens parfaitement opposés mais si complémentaires a quelque chose d’envoûtant, qui t’empêche de refermer ce livre et qui te hantera longtemps après l’avoir terminé. L’espoir te tient d’un bout à l’autre du roman, un espoir omniprésent et qui permet aux deux femmes d’avancer avec une détermination jamais entamée. Aujourd’hui, j’aime autant Soli que Kavya, et transposer cette fiction à la réalité de milliers de gens fait autant de mal que de bien. C’est donc que l’auteure a parfaitement réussi son coup.

Pour la musique, je voulais une voix de femme toute en douceur, et c’est donc très naturellement que j’ai eu envie de te proposer un titre de Pomme. Cette jeune artiste française a déjà un joli succès avec son premier album (et je fais une petite dédicace à Ambroisie qui sera probablement ravie de ce choix). Je me suis arrêtée sur le morceau « À peu près », parce qu’il a des propos très sombres malgré un enrobage tout doux, un peu comme Lucky Boy. D’ailleurs, si le clip laisse entendre des paroles vengeresses, on peut les comprendre tout à fait autrement, et j’imagine très bien Soli tenir ces propos sans aucune haine dans la voix.

19 commentaires sur “Lucky Boy

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  1. Magnifique critique. ET alors oui, tu es vraiment très convaincante. SUrtout quand tu abordes la construction quasi parfaite des personnages. Tu sais que c’est un point capital. Alors, je le note.
    Merci, Mon ‘p’tit loup!

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  2. … Comment t’as su que j’allais à la librairie demain ? /pan/ Plus sérieusement, je ne l’achèterai sans doute pas tout de suite, j’ai déjà prévu assez d’achats comme ça, mais du coup, je le retiens ! C’est le genre de scénario qui m’aurait rendue suspicieuse (en mode « Mouaiiis ») mais ce que tu en dis me rassure un peu.

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    1. Je me demande si ça pourrait te plaire, mais j’ose espérer que oui 🙂 En tout cas, j’ai trouvé ça très doux et en même temps ça touche un sujet extrêmement délicat, donc on oscille entre tendresse et déchirement… Bref c’était bien, quoi. 😉

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