Les étoiles s’éteignent à l’aube

Richard Wagamese, 2014

On m’a fortement recommandé ce roman, et je m’y suis plongée sans aucune idée de son sujet ou de son cadre. Il se trouve que l’histoire se déroule au Canada, en Colombie Britannique, et qu’elle met en scène un jeune garçon taciturne et un père qu’il n’a jamais vraiment connu. Le récit est puissant, il m’a happée et plongée dans un quotidien très différent du mien, dans une nature omniprésente et un océan de non-dits, de regrets et de pardon.

Ca fait quelques temps déjà que j’ai envie de tenter autre chose sur ce blog, que j’ai la sensation de me répéter dans ces chroniques analytiques et méthodiques, et que je réfléchis à un autre format, une autre façon d’aborder ces lectures. Aujourd’hui, je ne vais pas m’attarder sur la construction du récit, la plume ou les personnages. Parce que c’est un roman vivant, vibrant et que j’aurais l’impression de le dénaturer en le privant de sa spontanéité et de son énergie brute, de le priver de son essence en le décortiquant comme je le fais habituellement.

Si je me débarrasse de ma structure bien rôdée, il me reste les sensations, les impressions et les associations d’idées que ce roman m’a procurées.

J’ai englouti ce livre d’une seule traite, sans prendre garde au temps qui passait ou à la vie qui suivait son cours autour de moi. Il n’est pas spécialement haletant, mais il sonne juste, on sent beaucoup de sincérité et de vérité dans cette écriture et j’étais tout simplement dans la réalité de quelqu’un d’autre, qui me racontait son histoire et que je ne voulais pas interrompre.

C’est un roman qui parle des Native Americans, ces indiens d’Amérique du Nord qui ont une culture si différente de la mienne et qui ont été persécutés pendant des années.

Ce sujet m’a immédiatement fait penser à ce podcast dont je t’ai parlé en septembre, Missing & Murdered: who killed Alberta Williams?, qui enquêtait sur la disparition d’une jeune fille en Colombie Britannique. Elle-même était autochtone, tout comme la journaliste qui profitait de ce cadre pour raconter le passé de son peuple, et ces enfants qu’on arrachait à leur famille pour les placer dans des pensionnats destinés à les rendre « plus américains ». Un sujet qui glace le sang, un témoignage qui m’a marquée.

C’est aussi un roman qui raconte la nature, qui sonne comme un retour aux sources pour mon âme de citadine. A travers le voyage du père et de son fils, j’ai découvert les paysages de Colombie Britannique, la pêche, la chasse, les forêts infinies et les reliefs imposants.

Tout au long de ma lecture, j’ai pensé à cette amie proche, qui vit là-bas et que je n’ai jamais rencontrée, avec qui je corresponds régulièrement depuis deux ans et qui adore les grands espaces. J’ai pensé à son combat contre le stress post-traumatique, au fait qu’elle se réfugie dans la nature pour se réparer et à mon sentiment d’impuissance face à ce qu’elle traverse, à cette distance qui m’empêche d’être présente autant que je le voudrais.

Enfin, c’est un roman sur les rapports humains, la culpabilité et les cercles vicieux, les mauvais choix qui en entraînent d’autres et la difficulté de relever la tête. On y parle d’alcoolisme, ce fléau qui touche beaucoup d’autochtones, cette faiblesse qu’on leur reproche souvent.

Mon amie me parlait de ces sentiments mitigés que les natives inspirent là-bas, l’envie de les juger sur le fait de ne pas se reprendre en main, de rester dans un genre de déchéance et de se complaire dans l’aide sociale que l’Etat leur apporte. Et en même temps, le souvenir des horreurs qu’ils ont subies par la faute de ce même Etat, les blessures qui prennent du temps à se refermer et l’hypocrisie qui devient la solution de facilité face à ce cas de conscience trop grand pour eux. Cette dualité est également présentée dans le podcast, si le sujet t’intéresse.

Je note aussi que la traduction a été éditée chez les éditions Zoé, dont je te vantais les mérites il y a quelques jours. Un genre de pont entre le Canada et la Suisse, une coïncidence de plus que je tenais à souligner.

Pour comprendre pourquoi ce roman me semblait si « vrai », j’ai écouté une interview de Richard Wagamese, et c’est ce qui a relié tous les points : Richard fait partie de ces enfants qu’on a envoyés en pensionnat, il a grandi dans la violence et l’injustice et a ensuite passé toute sa vie d’adulte à combattre son stress post-traumatique. A l’image du père absent du roman, il n’a pas réussi à être là pour ses enfants autant qu’il l’aurait voulu, hanté par le poids de son vécu et incapable de créer des liens solides avec les gens. J’imagine que ce livre a été un moyen comme un autre de transmettre, de mettre en mots, de donner quelques clés à ses enfants pour comprendre son combat et ses démons.

Alors, dans mon esprit, Les étoiles s’éteignent à l’aube s’inscrit dans une vaste constellation d’éléments que je ne reliais pas vraiment jusqu’ici et que je porte avec moi depuis un certain temps déjà. Et quand tous ces éléments entrent en résonnance, se répondent et se complètent, ça crée une expérience de lecture qui ne peut pas se résumer à une plume, une construction d’intrigue ou des personnages.

En sortant de ce billet, tu ne sauras donc pas si ce roman peut te convenir ou non, parce que mon propos est trop teinté de ma propre expérience et de thématiques qui m’ont marquée. En même temps, je n’aurais pas pu m’y prendre autrement, je n’ai rien d’objectif à dire dessus. Ce que je peux t’assurer par contre, c’est qu’il m’a touchée, qu’il sonne juste et qu’on ressent toute la sincérité de l’auteur. Et finalement, j’ai l’impression que c’est suffisant.

Je termine en musique, j’ai suffisamment déstructuré ce billet pour ne pas t’enlever ce repère-là. J’ai choisi un morceau doux et réconfortant, un artiste découvert grâce à l’amie en question et qui permet ainsi de boucler la boucle. Je t’envoie de bonnes ondes, et j’espère que ce roman te touchera si tu lui donnes sa chance.

17 commentaires sur “Les étoiles s’éteignent à l’aube

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  1. Une magnifique chronique. Bravo, vraiment. Le fait que tu aies déstructuré ta chronique ne change rien au fait que je l’ai adoré.

    Je dois t’avouer que le titre de ce livre me dit quelque chose, j’ai donc bien dû en entendre parler quelque part moi aussi. En tout cas, tu m’as bien donné envie de le lire ! La cadre, le contexte m’intéressent 😉

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    1. Oh merci ma chère ! 🙂 j’avoue que je n’avais aucun recul sur ce billet avant de le publier, je suis ravie qu’il te plaise.
      Je pense vraiment que ce roman peut t’intéresser ! Et il envoie une formidable bouffée de nature.

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  2. Je sais qu’il me convient, puisque je l’ai lu, et beaucoup aimé aussi.. et ton billet est très bien. Comme toi, je m’interroge souvent sur le fait que les chroniques se suivent, et finissent par être redondantes, mais ce n’est pas facile de se renouveler, notamment quand on publie très régulièrement.. bravo, en tous cas !

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  3. Ta chronique est hyper touchante, pas grave qu’elle ne soit pas « comme les autres », ou qu’elle ne soit pas parfaitement structurée, on sent ta sincérité à chaque ligne ♥
    Merci c’était top à lire !
    Et bien que je connaissais déjà un peu cette partie de l’histoire du Canada (qui ressemble tristement à celle de l’Australie d’ailleurs), j’ai quand même envie de pousser mes connaissances avec ce roman, donc merci pour la découverte ♥
    Bisoooous !

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  4. Le sujet m’intéresse et le roman a l’air fort. C’est une très belle chronique, même si elle n’est pas basée sur des éléments très objectifs, on sent que le livre t’a touché, que tu parles avec ton ressenti, et c’est finalement ce que l’on cherche dans la lecture

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