[#PLIB2019] Comment le dire à la Nuit

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Vincent Tassy, 2019

#ISBN9782375680897

On arrive au bout des finalistes du PLIB, et j’ai voulu finir en apothéose avec le dernier roman de Vincent Tassy, Comment le dire à la Nuit. Je l’ai lu il y a quelques mois déjà, et je t’en avais déjà parlé lors de ma longue interview de l’auteur, mais il méritait bien sa propre chronique et j’avais vraiment envie de lui faire honneur, de faire cet exercice de poser mon ressenti en mots. Il m’a fallu du temps, parce que j’ai voulu le relire avant le vote final : tu l’auras compris, mon cœur balance entre La fille qui tressait les nuages et celui-ci, qui sont à mon sens les titres les plus décalés, audacieux et aboutis de la sélection. Mais parlons plutôt de l’histoire…

Oh, c’est si long de s’enfuir. Si long de n’être personne. 

Comment le dire à la Nuit, c’est avant tout une ode à la mélancolie, à l’amour et à la romance gothique, enveloppée dans un écrin de belles phrases et de mots délicats. On y rencontre Athalie et son attachement dévorant pour Adriel, Egmont et Léopold qui vivent leur idylle en secret, Carolina et Ismalie qui cherchent leur place dans leurs mariages arrangés, Rachel qui se sent vieille avant l’heure et ne s’anime que dans la musique de Cléopâtre, Parascève et sa fascination pour Barbara Cartland… Différentes époques, différents lieux, mais toujours les mêmes sentiments et la même recherche de sens, cette langueur qu’il faut combattre ou épouser et cette nuit qui abrite tous les soupirs.

Il trouva la force de se blottir contre Léopold.
D’écouter le silence des roses.
De fermer les yeux.

La première fois que je l’ai lu, j’étais dans le train pour Paris et j’ai dérangé mon cher et tendre toutes les dix minutes pour lui faire lire des passages, tant j’avais besoin de partager cette plume et cette magie des mots. Sans avoir besoin de partir dans un vocabulaire ampoulé ou des virtuosités intellectuelles, Vincent Tassy a un don pour trouver la formulation qui marque, la métaphore élégante et l’image qui retranscrit à la perfection les sentiments des personnages. A ce niveau, ce livre est un régal, j’avais envie de le lire très lentement pour m’imprégner de chaque phrase et ne surtout pas être arrachée à cette ambiance trop rapidement. Cette sensation est intacte à la relecture, j’ai eu l’impression de replonger avec délice dans un cocon que j’aurais quitté la veille. Je me suis émerveillée devant les mêmes scènes, j’ai été émue par les mêmes souffrances, j’ai tout redécouvert avec ravissement et fascination.

Il n’y avait pas eu de baiser, cette fois-là. Juste quelques minutes silencieuses, limpides comme du cristal. A la lisière des tombes, deux silhouettes voilées, un peu sonnées d’être là, plus seules, plus perdues, si brusque est la douceur parfois.

Le thème qui me frappe avec le plus de force, tout au long du roman, c’est l’éternité : on la retrouve aussi bien dans les notions d’amour éternel, de passion qui traverse les âges et alimente les romances les plus épiques, que dans un aspect figé de ce qui ne vieillit plus, ce qui tourne en boucle et qui résiste au temps qui passe grâce à sa vacuité indémodable. L’un comme l’autre peuvent rendre fou, et ce qui s’annonce comme un bonheur de chaque instant, une voie sans nuages « pour toujours » finit par lasser, par décevoir et par étouffer. Le livre explore cette recherche de torpeur, d’un monde naïf et immuable qui nous maintiendrait éternellement dans une béatitude vide de sens : et soudain, Barbara Cartland rejoint les créatures de la nuit, ses romances déclinables à l’infini se mêlent au conte gothique, son univers rose bonbon envahit la pénombre alentour. Un mélange improbable, mais si habilement construit qu’il donne lieu à des scènes fantastiques et en parfaite cohérence avec l’ensemble.

Qu’aurait-on pu dire ce soir, dans ce silence, à l’oreille endormie des cygnes, comment dire la nuit, ce vide en soi, comment le dire à la nuit.  

Evidemment, l’amour est également omniprésent dans cette histoire. Ou plutôt, les amours, toute une déclinaison d’amours dévastatrices ou merveilleuses, d’attachements destructeurs, de fantasmes interdits, d’attirances décomplexées et de désirs chuchotés. Les personnages de Comment le dire à la nuit sont complexes et vibrants, leurs états d’âme n’ont rien de fictionnel et on nous offre une palette incroyable de sentiments en tous genres. Le récit pourrait paraître statique, présenté comme ça, mais il n’en est rien : chaque trame narrative est captivante, pour autant qu’on se laisse bercer, qu’on accepte de lâcher les rênes et de voyager entre les histoires, au risque de ne comprendre ce qui les relie qu’en dernière partie du roman. J’ai vraiment apprécié la structure et l’architecture de cette narration, je me suis prise au jeu des suppositions, j’ai été partagée durant toute ma lecture entre mon impatience de démêler les fils et la crainte de voir la fin arriver. D’ailleurs, en le relisant, j’ai pu mettre en évidence beaucoup d’indices qui annoncent le dénouement, et c’était très plaisant de réaliser à quel point l’œuvre globale est cohérente.

Chante, Cléopâtre, c’est ça la vie, c’est toi, c’est une chanteuse d’opéra qui hurle en frappant au hasard le clavier d’un piano, et ça ne s’arrête jamais, jamais, et c’est la nuit, elle chante il fait nuit, ça hurle, même quand on n’entend plus rien ça hurle, il y a cet effroi tout au fond, comment le dire, on ne peut pas, on est là sans voix, assourdi par les cris, on cherche des mots impossibles et on ne les trouve pas, c’est ça la vie, n’est-ce pas mon amour, c’est chercher, quelque chose mais quoi, chercher jusqu’à la fin de l’Égypte, jusqu’à la fin des sables, comment le dire ce mal, Cléopâtre, cet amour insensé, cette ignorance, comment le dire à la nuit.

Bref, ce roman est un coup de cœur qui se confirme à la relecture. Il est doux, onirique, impitoyable et hypnotisant, il sonde l’âme humaine avec un talent fou, il ne porte aucun jugement et transmet des valeurs d’amour universel, il propose des personnages de toutes orientations sexuelles sans être moralisateur ou vindicatif, il ne conviendra pas à tous les types de lecteurs mais ne laissera personne indifférent. Vincent Tassy fait désormais partie de mes valeurs sûres, on peut déjà remarquer une évolution de son style et de son rapport à la violence depuis Apostasie, et la direction prise par ce dernier roman promet de très belles choses pour la suite. Quoiqu’il arrive, j’espère que le PLIB lui permettra de toucher de nouveaux lecteurs, ce serait amplement mérité !

Pour la musique, il me fallait absolument du piano, un peu lent et contemplatif sans tomber dans le macabre. Ca me permet de te proposer Gonzales et ses immenses mains, son jazz en sourdine et ses compositions immédiatement reconnaissables.  Il manque juste les crépitements du tourne-disque…

15 commentaires sur “[#PLIB2019] Comment le dire à la Nuit

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  1. Perso, je suis un peu restée sur la touche avec celui-ci, un peu trop de mélancolie et de tragique pour moi. Et puis la partie dans le présent m’a pas du tout convaincue, j’ai trouvé le lien avec le passé décevant et un peu bancal.

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  2. On sent que tu as beaucoup aimé ce livre, et que tu as voulu lui rendre le meilleur hommage qui soit !
    De mon côté, oui, j’ai adoré la plume lorsque je l’ai lu mais malheureusement, mis-à-part par l’entremise du personnage de Rachel (il y a des passages si drôles la concernant !), il m’a été difficile de me plonger dans l’histoire.

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  3. Tu as bien choisi les citations. Et « Barbara Cartland rejoint les créatures de la nuit », j’ai adoré, c’est tellement vrai. C’était totalement improbable et cela marchait totalement. j’ai beaucoup aimé ce délire lors de la lecture. Je te rejoins aussi sur l’aspect du non jugement. Le livre semble dépourvu de ce travers et c’est une grande richesse.

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  4. Je crois que j’avais mis ce livre dans ma wishlist suite à ton interview de l’auteur, et là, tu me donnes définitivement envie de concrétiser en le lisant! Les thèmes, l’univers, le style, tout me parle et en plus, ça me semble parfait pour l’automne qui s’annonce… Alors que demander de plus!

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