[Sélection] Cinq coups de cœur de romancières talentueuses

Je l’avais annoncé, les chroniques littéraires font leur grand retour sur le blog (incroyable, non ?). J’ai déjà plusieurs articles en préparation, notamment un bilan de mes lectures du challenge des 12 mois et un autre pour mes lectures de classiques (qui arriveront tous deux en décembre), mais il reste quelques romans que je voulais absolument présenter de manière plus détaillée ici. Et puisqu’il s’agit exclusivement de plumes de femmes, le thème était tout trouvé ! Si tu as envie de voyager, de te plonger dans des romans prenants et qui s’engloutissent sans y prendre garde, jette donc un œil à cette petite sélection !


Robin Hobb – The Liveship Traders / Les aventuriers de la mer

Et j’attaque tout de suite avec du très, très lourd. L’année dernière, j’ai découvert la plume de Robin Hobb avec le premier cycle de l’Assassin Royal, qui m’avait beaucoup plu malgré quelques longueurs. Et si l’on suit les recommandations de lecture, il fallait ensuite enchaîner sur les Aventuriers de la Mer avant de reprendre les aventures de Fitz. Et donc, on s’est lancées allègrement dans ces trois briques de plus de 1000 pages avec ma p’tite Cha’… Et là, le coup de foudre !

J’ai été totalement captivée par l’ambiance, les personnages et le scénario de cette trilogie. On fait la connaissance de plusieurs familles marchandes, chacune propriétaire d’un liveship (j’ai les termes anglais, pardon), sorte de bateau conscient qui s’exprime à travers sa figure de proue et qui entretient un lien privilégié avec son capitaine. Mais voilà, les traditions commencent à se perdre, de nouveaux marchands se sont installés dans la région et remettent en question les privilèges des anciens, les choix qui avaient été faits pour des raisons bien précises il y a plusieurs générations semblent moins défendables, et ce fragile équilibre pourrait bien être compromis. Mais d’où viennent ces bateaux, pour commencer ?

Cette saga est tout simplement fascinante. Là où j’avais un peu de mal, parfois, à rester coincée dans la tête de Fitz dans L’assassin royal, j’ai adoré la forme chorale que Robin Hobb nous offre dans ses Aventuriers de la mer. Tous les personnages me plaisent, j’ai adoré les soutenir ou les détester (parfois même les deux !). On a également une belle présence de femmes fortes, ce qui fait un bien fou dans une fantasy qui a souvent tendance à rabâcher de vieux clichés de preux chevaliers et de demoiselles en détresse. Le scénario oscille entre action et jeux de pouvoir, les joutes verbales sont aussi délicieuses que les scènes de combat.

Bref, il y a tout dans cette trilogie. Le souffle épique, les messages modernes, les intrigues, les manigances, les états d’âme, les mystères, les secrets de famille, et cette touche d’imaginaire qui nous tient en haleine, tant on a envie de comprendre l’origine de toute cette histoire. C’est un récit brillant, que j’ai terminé avec un grand regret et dont je suis carrément nostalgique en écrivant ces lignes (même si je l’ai fini il y a déjà quelques mois). Si tu ne lui as pas encore laissé sa chance, FONCE !


Kathryn Stockett – La couleur des sentiments

Ce roman a dormi dans ma pile à lire pendant des années. Il avait fait grand bruit à sa sortie, l’arrivée du film en a remis une couche, et pourtant j’avais du mal à me lancer. Je crois que j’avais quelques à priori sur cette histoire, comme ça se produit parfois quand je constate un engouement « trop » unanime. Mais fort heureusement, instagram m’a forcée à le sortir de chez Suzette (puisque j’avais demandé aux gens de voter pour quelques lectures du mois d’octobre, et qu’il a remporté un paquet de voix) et m’a donné l’impulsion qui me manquait pour ENFIN me faire un avis sur ce roman !

Et si je le mets dans cette sélection, tu te doutes que cette lecture s’est bien passée. On se plonge dans les années soixante, au cœur du Mississippi, dans une ambiance de ségrégation raciale très prononcée. Les noires sont à la fois femmes de ménage et nounous pour les familles blanches, qui prennent soin de toujours les ramener à leur condition « d’êtres inférieurs » (à l’image du début du roman, où l’une de ces femmes blanches propage l’idée de construire des toilettes séparées dans le jardin pour les employées noires afin de se protéger contre d’éventuelles maladies qu’elles véhiculeraient… Classe). Mais Skeeter, jeune femme blanche élevée par une nounou noire dont elle a perdu la trace, est bien déterminée à bousculer les codes et donner une voix à ces femmes qui souffrent en silence et sacrifient leur vie pour les enfants des autres.

Le sujet de la nounou noire est très délicat à aborder, et j’apprécie vraiment le fait que l’autrice elle-même ait vécu cette situation. Elle adresse ainsi cette ambiguïté en toute franchise, cette dualité folle entre l’amour que les enfants portent à leur nourrice et la distance qu’ils apprennent à installer en grandissant, reproduisant le racisme de leurs parents sans le remettre en question. Si la naïveté de Skeeter m’a parfois agacée, j’imagine qu’elle colle bien avec son époque et sa position de privilégiée qui n’en a absolument pas conscience. À travers ce roman choral, on découvre surtout le destin de différentes familles noires, supposées ressentir une gratitude infinie envers leurs employeurs alors même qu’ils les rabaissent constamment. Les différents portraits sont très touchants, les pages s’enchaînent sans effort, et c’est donc une lecture que j’ai beaucoup appréciée.


Ellen Klages – Passing strange

Tant qu’on en est aux phénomènes de société et aux minorités opprimées, j’ai envie de te parler de Passing strange. On remonte le temps encore un peu, jusqu’aux années quarante, à San Francisco cette fois. Dans cette ville qui prône l’ouverture d’esprit et qui héberge tous les excès, l’homosexualité est encore un tabou. Pour vivre leur amour interdit, les femmes doivent ainsi se déguiser en hommes, jouant avec le feu et espérant échapper à la police qui veille au grain. Ce roman très court nous propose de suivre un groupe de femmes, leurs rêves et leur combat pour vivre en paix, le tout saupoudré d’une magie délicate et discrète qui sublime le propos avec une grande douceur.

Le maître mot de ce roman, selon moi, c’est l’élégance. Elégance de cette plume, légère et pertinente, qui nous transmet les paillettes, les faux-semblants et les craintes de ces jeunes femmes. Elégance de ces personnages qui se fondent dans la masse avec habileté, qui sont passionnés d’art, de sciences et de liberté et qui luttent pour préserver une part d’insouciance. Et élégance du scénario, savamment construit, qui tisse sa toile progressivement et nous piège dans son atmosphère mystérieuse et envoûtante, ne donnant les informations qu’au compte-goutte et au moment idéal pour la progression de l’intrigue.

J’essaie de ne pas en dire trop, sachant que le texte est déjà court et qu’il mérite d’être découvert sans trop d’informations préalables. Mais je ne peux que recommander cette lecture, sa poésie et la justesse de son ton. Je suis particulièrement impressionnée par cette touche fantastique qui a parfaitement sa place dans l’ensemble, et qui magnifie le propos sans lui faire perdre une once de crédibilité. Magistral !


Lauren Groff – Les Furies

Ce roman fait aussi partie des titres que j’ai beaucoup vus passer sur la blogo il y a quelques temps. Je n’avais aucune idée de son propos, je savais simplement qu’il était d’une efficacité redoutable. Et je crois que ça le définit bien, finalement.

Qui dit histoire d’amour ne dit pas forcément romance, et ici on est loin du roman mièvre et cliché. On suit pourtant un « couple parfait », du genre que les autres envient, jalousent ou espèrent secrètement voir se déchirer. Lui est un dramaturge de talent, elle le soutient corps et âme, ils semblent s’être trouvés et vivre un bonheur sans limite, de ceux qui résistent au temps et aux désillusions. Mais tout est-il aussi rose quand plus personne n’est là pour les observer ?

La construction de ce roman est très plaisante. On passe une première moitié à traverser les années dans son regard à lui, avant de basculer vers sa version des faits à elle. Le procédé m’a un peu fait penser à la série The Affair (que je n’ai pas pu regarder jusqu’au bout tellement les deux personnages principaux m’horripilaient, mais que j’aimais pour cette façon de montrer que la réalité dépend toujours du point de vue). Mais attention, pas de grosses ficelles de mari abusif ou de femme démoniaque, ce roman est tout en nuances, en portrait psychologique, en faux-semblants et en tranches de vie.

Il pourra peut-être sembler trop long à certains, ou trop statique, et il est vrai que la première partie semble poser le décor sans entrer dans le vif du sujet (même si j’ai beaucoup aimé ce paysage qui s’étale sur des années, cette fresque qui résume une vie en quelques centaines de pages). Mais la déconstruction qui suit est savoureuse, pertinente et finement écrite. J’ai adoré l’ambiance, cette impression diluée que tout ne fonctionne pas exactement comme on veut nous le faire croire, cette envie de remuer chaque détail, chaque affirmation pour s’assurer qu’on ne se fait pas avoir. Le portrait de Mathilde est saisissant, elle apporte beaucoup de corps au récit et s’avère bien moins effacée que prévu. Si tu aimes les romans psychologiques et les plumes acérés, tu devrais tenter ta chance avec ce titre.


Naomi Novik – Déracinée

Et enfin, dernier mais pas des moindres, ce conte enchanteur et hypnotique qu’est Déracinée. Celui-là aussi, je l’ai vu passer partout et j’ai préféré laisser retomber un peu l’engouement, par peur de trop m’emballer. Mais quel coup de cœur, quel plaisir d’avaler ces 600 pages et quelle tristesse de devoir quitter cette ambiance !

Tout démarre de manière assez classique : avec un petit village protégé par un « dragon », qui exige en contrepartie qu’une jeune femme lui soit confiée tous les dix ans. Evidemment, notre héroïne sera choisie et sera forcée de quitter sa famille pour se mettre au service de ce magicien caractériel et solitaire.

Mais très vite, le conte se modernise, s’étoffe, et te prend dans ses griffes, rendant toute tentative de reposer le bouquin impossible. Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu cette boulimie de lecture, cette envie brûlante de reprendre mon livre et de lui consacrer des heures et des heures d’affilée. L’ambiance me fait penser à une version adulte du Château de Hurle (Hurle a d’ailleurs quelques points communs avec le Dragon, si tu veux mon avis), et je suis entrée dans cette histoire comme on enfile des chaussons bien douillets : avec aucune envie d’en ressortir.

Là aussi, je préfère ne rien dire de l’intrigue, qui se dévoile très progressivement et fonctionne extrêmement bien. Je peux par contre dire que j’ai adoré les personnages, la dynamique qu’ils installent entre eux et le traitement de la magie : l’approche très scolaire du Dragon et très intuitive d’Agnieszka, leur façon d’apprendre l’un de l’autre et de tisser des intentions communes. La plume est fondamentale dans ce récit, d’ailleurs, j’aime beaucoup la façon dont elle décrit ces phénomènes magiques, tout semble limpide pour le lecteur malgré le côté très abstrait de ces pouvoirs. Le folklore polonais est également bien présent dans le récit, ce qui lui donne une couleur toute particulière, enchanteresse et dépaysante, qui m’a beaucoup plu. Bref, si tu as envie de nature, de magie et de personnages au fort caractère, n’attends plus : Déracinée est fait pour toi. 


Oh là là, c’était long, mais qu’est-ce que ça fait plaisir de revenir à la chronique littéraire ! Et puisque ça aussi, ça fait longtemps, on va finir en musique ! Il me fallait une voix de femme, évidemment, pour coller au thème. Quelque chose de doux, de confortable, qui te donnera envie de t’enrouler dans un plaid et d’attaquer toutes ces lectures sans plus tarder. Kat Edmonson me semble idéale, avec sa voix de velours et ses ambiances légères et chaleureuses. Profite bien, et donne-moi des nouvelles de tes découvertes littéraires !

23 commentaires sur “[Sélection] Cinq coups de cœur de romancières talentueuses

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  1. Bonjour, merci pour le partage, j’ai lu le premier tome de l’assassin royale et comme tu le dis c’était bien mais sans plus. Mais là tu me donne envie d’essayer la suite et surtout les aventuriers de la mer. J’avais entendu de bon avis de la couleur des sentiments, un ou deux (je n’étais pas encore sur instagram ni sur book tube) et un ami me la proposer sans me le « survendre ». Je suis entrée dans l’histoire sans préjugés. J’ai tellement aimé, un vrai coup de coeur, je l’ai lu en 2 jours. Pendant ce temps, mon compagnon a vécu avec une boule tournant des pages, sur le canapé. 😁 L’autre qui me tente c’est déracinée, pour l’instant j’en ai encore plein à lire.

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    1. Pour les sagas de Robin Hobb, le souci c’est aussi le découpage français, qui ne suit pas le découpage original et qui donne une impression de lenteur, je trouve ^^ Mais il faut persévérer, ça vaut le coup !
      haha pareil, je l’ai lu très vite, La couleur des sentiments, malgré sa taille 🙂 Et Déracinée est un très bon choix !

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  2. Robin Hobb ❤ ❤ ❤
    J’ai vu le film pour la couleur des sentiments et l’histoire est belle 🙂
    Je viens de découvrir Naomi Novik avec son dernier roman que j’ai beaucoup aimé alors je me tournerai surement bientôt vers ses publications plus anciennes 🙂

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  3. Bon ben j’ai envie de tout lire, merci… (enfin, pas de la part de mon compte bancaire qui se souviendra de toi)

    Robin Hobb, c’est vraiment l’autrice que tout le monde alu, conseille et… moi, toujours pas. Quelle patience infinie vous avez avec moi !

    « Les furies » de Lauren Groff est déjà noté, même si j’ai tendance à l’oublier.

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  4. Je n’ai lu aucun des cinq, j’en ai toujours entendu parler en bien, et tu rajoutes des détails et des avis supplémentaires qui donnent envie de s’y mettre ! Franchement, je ne saurais lequel serait le premier pour commencer, mais tu donnes définitivement envie de les lire, et à ta plume, on sent combien ils t’ont emportée et fascinée. Un grand plaisir de te relire pour ces chroniques littéraires !

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    1. Oh mais un grand merci à toi, ces mots me vont droit au coeur 🙂 Et je ne peux que te recommander chaudement ces cinq lectures, elles sont chacune dans leur style mais toutes passionnantes !

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  5. Oh la la j’ai honte j’ai toujours cru que Robin Hobb était un homme !!
    Bref, sinon je ne me suis jamais lancée dans son oeuvre, je crois que le nombre de tomes à chacune de ses sagas me fait un peu peur, mais tu me donnes très envie de me lancer dans Les Aventuriers de la mer !
    Je suis à fond de ton avis sur La couleur des sentiments, que j’avais beaucoup aimé, tout comme le film d’ailleurs.
    Déracinée est dans ma PAL, j’espère aimer autant que toi !
    Quant aux Furies, il m’intrigue bien !

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    1. Hahaha j’ai longtemps cru ça aussi (c’est d’ailleurs un nom de plume). Mais en fait, si tu prends les intégrales (qui respectent le découpage VO), ce ne sont que des trilogies, c’est un peu moins intimidant je trouve 🙂 Et tu peux tout à fait lire Les Aventuriers de la Mer sans avoir lu l’Assassin Royal avant.
      Et oui, c’est d’ailleurs toi qui m’avais envoyé La couleur des sentiments, il y a fort longtemps 😀 Merci beaucoup pour cette belle découverte !
      Oh yes, hâte d’avoir ton retour sur Déracinée !

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