Handle with care

Jodi Picoult, 2009

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Retour à l’époque où je commençais à lire en anglais. Je t’ai déjà parlé de Room, ma première lecture en langue de Shakespeare en-dehors de l’école, et puisque ça s’était bien passé, j’ai commencé à acheter plein de livres en anglais par-ci par-là, souvent à prix cassés, et sans connaître ni l’auteur ni l’histoire. C’est comme ça que je me suis retrouvée en possession de Handle with Care : il était épais, le niveau de langage avait l’air abordable, la couverture m’a interpellée et il me regardait avec des yeux larmoyants depuis sa caisse de livres en soldes. J’ai l’âme charitable, je l’ai embarqué. Et puis, il a traîné un moment sur mes étagères, je m’en méfiais quand même un peu : il faut dire qu’il ressemble pas mal à ces livres « de nanas » pleins de sentiments surjoués et de pseudo-intrigues invraisemblables. Et je ne connaissais pas encore Jodi Picoult, mais j’aurais probablement été encore plus méfiante si j’avais su à l’époque qu’elle avait déjà une vingtaine de bouquins à son actif (j’ai beaucoup de peine à croire qu’on puisse produire de la qualité quand on sort plus d’un livre par an). Mais bon, avant que tu partes en courant, si j’ai décidé de t’en parler (alors que je l’ai lu il y a plusieurs années), c’est probablement qu’il vaut mieux que ça.

Je te présente donc Willow O’Keefe, une petite fille atteinte de la maladie des os de verre (ou ostéogenèse imparfaite, ici de type III, ce qui signifie principalement que ses os sont extrêmement fragiles et qu’elle souffre régulièrement de fractures, mais qui s’accompagne de plein d’autres symptômes sympathiques). Ses parents, Charlotte et Sean, essaient de lui assurer une enfance normale et de gérer tous les frais relatifs à sa maladie (frais d’hospitalisation, mais aussi d’aménagement de leur maison : il faut éviter que Willow se cogne, il faut des accès facilités si elle se retrouve en fauteuil roulant, …), tout en s’occupant aussi de leur fille aînée Amelia, en pleine adolescence. Au tout début du roman, toute la famille part à Disney World, mais Willow est bousculée et se casse les deux fémurs, et l’hôpital appelle la police, pensant à la vue des anciennes fractures en rémission qu’elle est battue par ses parents. Résultat : Willow passe la nuit toute seule à l’hôpital, et les parents sont en garde à vue jusqu’au matin. Furieux, Sean décide de rencontrer un avocat pour se renseigner sur l’éventualité d’un procès (contre Disney, contre l’hôpital, pourquoi pas les deux), mais l’avocat soulève une autre possibilité : en examinant le dossier médical de Willow, il se rend compte que les examens gynécologiques auraient pu révéler la présence de cette maladie dans les premières semaines de grossesse, à un stade où l’avortement était encore possible. La proposition est donc de poursuivre en justice la gynécologue qui s’est occupée de Charlotte, en disant que si elle avait fait son travail correctement, Sean et sa femme auraient pu décider de ne pas garder Willow. Sauf qu’évidemment, ce plaidoyer ne tient que si les deux parents sont prêts à affirmer, devant le juge, le public, et inévitablement leurs filles, qu’ils auraient choisi l’avortement. Se pose alors un cas de conscience : d’un côté, l’argent gagné avec ce procès permettrait d’assurer à Willow le meilleur avenir possible, avec des équipements adaptés et une insouciance financière qu’ils sont loin d’avoir pour le moment, mais d’un autre côté, faire ce procès signifie mentir au tribunal, et prendre le risque que Willow croie qu’elle n’était pas désirée, ou que sa maladie est un fardeau pour ses parents au point qu’ils auraient préféré qu’elle ne soit pas née. Pour ne rien simplifier, il faut encore ajouter que la gynécologue en question, Piper Reece, est la meilleure amie de Charlotte et la marraine de Willow.

La force de ce livre, c’est qu’il nous propose les points de vue de tous les personnages. Et à travers tous ces regards différents, on prend vraiment conscience de l’ampleur du dilemne, et on a de la peine à choisir un camp. Pourquoi ça ? Tout simplement parce que cette écriture des différents protagonistes est criante de vérité. Ils ont chacun leur personnalité bien développée, leurs opinions qui se valent parce qu’elles sont toutes crédibles, et comme on est dans la tête de tous ces gens on a un peu envie d’être d’accord avec tout le monde. Et c’est très déroutant, je t’assure ! Mais j’ai aimé lire une histoire où tout n’est pas noir ou blanc, où il n’y a pas les gentils et les méchants mais juste des gens qui essaient de faire de leur mieux, chacun à sa manière, qui ne font pas tout juste mais qui pensent toujours avoir de bonnes raisons d’agir ainsi. La vie, quoi.

Je me suis un peu renseignée, et il s’avère que Jodi a rencontré des personnes (adultes et enfants) atteintes de cette maladie, elle a beaucoup parlé avec eux, elle a vécu la peur de sortir un enfant d’une voiture parce qu’elle ne voulait pas lui casser quelque chose accidentellement, elle a été surprise devant leur joie de vivre, elle a également parlé avec des parents qui ont engagé ce genre de procès, elle a donc expérimenté ce quotidien de près, et ça ne m’étonne pas du tout parce que ça se ressent dans ce livre. Je suis ravie qu’elle l’ait fait, c’est ce qui empêche ce livre de tomber dans le drama invraisemblable que je craignais au début.

Après, je ne veux pas non plus dire que c’est un grand livre. C’est plutôt une jolie lecture de vacances, qui fait réfléchir, et on sent l’engagement de l’auteure derrière cette histoire et son envie de proposer plusieurs points de vue. Parce qu’elle le dit elle-même, en entendant parler de ce genre de procès sa première réaction était de blâmer les parents (et la mienne aussi, en lisant le résumé du livre, alors qu’à la fin de ma lecture je n’ai plus envie de blâmer personne, donc elle a bien réussi son coup). Si ça t’intéresse, je tiens ces informations de son site internet (http://www.jodipicoult.com/handle-with-care.html), où tu peux écouter une interview par la BBC que j’ai trouvée très intéressante.

En bref, j’apprécie le travail de recherche qu’elle a fourni et j’ai été vraiment touchée par cette lecture. J’en ai lu quelques autres, et c’est une auteure qui me plaît bien : j’évite d’en lire plusieurs à la suite parce qu’il me semble qu’elle utilise souvent les mêmes schémas, mais elle choisit des sujets intéressants et ça se lit facilement, de temps en temps c’est plutôt agréable. Par contre, et j’aurais probablement dû te le dire un peu plus tôt, ce livre n’est toujours pas traduit en français (alors que d’autres livres plus récents, comme La Tristesse des éléphants, le sont déjà). Mais au-delà du vocabulaire médical, c’est un anglais très abordable alors ne te laisse pas impressionner !

Il me semble que ce post est démesurément long. Je m’arrête donc là, avec une musique douce et fragile comme Willow : « Riverside » d’Agnes Obel.

5 commentaires sur “Handle with care

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  1. J’avais beaucoup aimé A l’intérieur, de la même auteure (ça parle du syndrome d’Asperger, j’imagine que le thème de la maladie lui tient à coeur !). Je ne savais pas non plus qu’elle avait écrit autant de romans, ça explique peut-être qu’ils soient inégaux ! En tout cas je te conseille celui ci:)

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