Une fois la première vague de stress passée, j’ai eu besoin de me réfugier dans la lecture pour m’aérer la tête depuis le mois de mars. Et la bonne nouvelle, c’est que j’ai fait beaucoup de bonnes pioches, trop pour espérer t’en faire des chroniques détaillées. Qu’à cela ne tienne, je vais essayer de te faire un condensé de voyages, un road-trip improvisé dans un format différent, pour te donner envie (je l’espère) de visiter plus en détail ces escales qui m’ont fait tant de bien.
Et on va commencer directement par un véritable tour du monde, avec Ne pas laisser le temps à la nuit de Sonia Molinari. Un roman court et percutant, sans aucun répit, qui suit une jeune adolescente en cavale à cause des recherches mystérieuses de son père. L’héroïne est terriblement attachante, avec ses angoisses et son intelligence redoutable, et le récit ne se contente pas d’amener du suspense. Il est surtout terriblement humain, on touche du doigt la douleur d’être constamment aux aguets, de ne jamais se sentir en sécurité nulle part. J’ai adoré la plume de Sonia Molinari, elle fait mouche à chaque ligne, elle va droit au but et nous livre une histoire épurée, pleine de vie, qu’il te sera impossible de lâcher avant la fin. Le travail éditorial des éditions Zoé est irréprochable une fois de plus, et je les remercie vivement de cet envoi. Ce roman m’a fait voyager aux quatre coins du monde, au rythme des avions et des bribes de révélations, dépaysement garanti !
Pendant que ton adrénaline est maximale, laisse-moi t’embarquer Dans la toile, avec Vincent Hauuy. Cette fois-ci, direction les Vosges, dans un huis-clos plus intimiste mais pas moins haletant que notre première escale. On y retrouve Isabel, en plein stress post-traumatique doublé de troubles de la mémoire, qui tente de reprendre le contrôle sur ses émotions dans un magnifique chalet au milieu des bois. Mais le cadre bucolique prend des teintes inquiétantes, à mesure que notre narratrice non fiable peine à faire la distinction entre danger et paranoia. C’est un thriller psychologique comme je les aime, sans grande prétention mais idéal pour changer de cadre pendant quelques heures.
Tu recherches un peu plus d’exotisme ? Alors rejoins-moi en Afrique et plonge-toi dans l’histoire de Salina, racontée avec beaucoup d’élégance par Laurent Gaudé. Le texte est très court, à peine une centaine de pages, mais la vie de cette jeune femme risque de marquer ton esprit bien au-delà de sa lecture. Dans ce portrait saisissant, on aborde la position de la femme, son incapacité à exister sans homme dans cette tribu reculée, on partage la colère sourde de Salina qui se fait museler et utiliser comme simple objet de convoitise et de reproduction. Destin tragique, volonté de fer, vengeance froide et poésie infinie de la plume de Laurent Gaudé, tels sont les ingrédients de ce roman si fort et si vibrant.
Garde cette énergie féministe, j’ai un deuxième joker dans ma manche, sous forme de bande-dessinée cette fois. Pucelle, récit autobiographique de Florence Dupré La Tour, nous fait changer de continent une fois de plus. Buenos Aires, années 80, autre cadre mais mêmes problèmes de patriarcat et de condition féminine : Florence nous raconte son enfance dans une famille riche et très catholique, où la sexualité est un tabou absolu et où on lui répète tous les dimanches à l’église que la femme est faite pour servir l’homme. La plume est tantôt drôle tantôt glaçante, de même que le dessin, et ces scènes de vie crient toute la souffrance de cette jeune fille qui voudrait comprendre, qui n’ose pas demander, et qui souhaite de toutes ses forces ne jamais devenir une femme. Une lecture formidable, je remercie Dargaud pour leur confiance et j’espère que cette BD fera du bien à beaucoup de monde.
Je vois bien que tu as envie de rester encore un peu en Amérique du Sud, et ça tombe bien puisque je peux te proposer une place de choix dans le village de Macondo, aux côté de sept générations d’hommes et de femmes aux destins surréalistes. Cent ans de solitude, telle est la proposition de Gabriel Garcia Marquez, mais ne te fie pas au titre : ce livre regorge de vie, de personnages incroyables, d’histoires qui s’entremêlent et de perpétuels recommencements. Ce livre donne le tournis, balayant les années en quelques pages, multipliant les naissances en tournant avec une poignée de prénoms qu’on se passe de génération en génération, et pourtant, le plus merveilleux dans tout ça, c’est qu’on ne perd jamais le fil de l’histoire. Délicieusement absurde et incroyable dans sa construction, s’il y a bien un roman qui peut t’aider à t’évader et te faire passer de longues vacances au soleil, c’est celui-ci !
Ton esprit commence à fumer et je te comprends, ça fait un certain temps que tu n’as pas côtoyé autant de monde d’un coup. Pas de panique, la prochaine escale est beaucoup plus calme et intimiste. Tu y rencontreras Joram, sous la plume de Manuela Gay-Crosier, alors que son séjour en prison est perturbé par l’arrivée de Dolores et son projet d’étude : le pouvoir de la littérature sur les prisonniers. On réalise vite que ce projet n’est qu’un prétexte pour faire connaissance avec Joram, qui découvre l’introspection à travers ses lectures. Je n’ai pas été totalement sensible à la plume (parfois un peu redondante), mais j’ai aimé ce duo qui s’apprivoise progressivement, cette ambiance carcérale adoucie par les visites de l’étudiante, et la construction de leur confiance mutuelle. Merci aux éditions Plaisir de Lire pour ce doux moment !
Bien. J’espère que tu as repris des forces, parce que la prochaine escale parle aussi de misère humaine dans un rythme bien plus frénétique. Feel Good de Thomas Gunzig, un roman terriblement contemporain et sauvagement réaliste, m’a fait l’effet d’une tornade impitoyable. Je l’ai lu en apnée, d’une seule traite malgré ses quatre cents pages, et je sais déjà qu’il va me marquer longtemps. Il parle de cette pauvreté invisible, de ceux qui ont « tout juste » de quoi terminer le mois, constamment contraints de surveiller la moindre dépense et prendre tous les petits boulots qui se présentent à eux sans espoir de se sortir de cette situation. Il parle aussi de l’industrie du livre, de ce qui fait vendre, de ceux qui s’enlisent dans leurs croyances déconnectées de la réalité, la plume est merveilleuse et le fond ne peut pas te laisser indifférent. Enorme coup de cœur de mon côté !
Et puisque tu en redemandes, si tu veux faire une overdose de voyage, je te propose de terminer ce tour d’horizon en changeant carrément de dimension… A la croisée des mondes, de Philip Pullman, ce classique de mon enfance qu’on ne présente plus et qui n’a pas pris une ride depuis ma première lecture. C’est une trilogie très chère à mon cœur, que j’ai eu envie de redécouvrir en version originale et qui m’a servi de cocon incroyablement douillet pendant cette période si étrange. Je pensais en faire une chronique dédiée, mais finalement, je crois que la sobriété ira tout aussi bien. On est donc sur le voyage ultime : entre le froid polaire, les différentes versions d’Oxford, des dimensions exotiques et des royaumes dont je tairai le nom, mon esprit s’est gorgé de magie, de toutes ces références bibliques que je ne saisissais pas à l’époque, de tous ces personnages si attachants que j’ai retrouvés avec émotion, et je garde une tendresse toute renouvelée pour cette saga de mon enfance. C’est peut-être le voyage du retour aux sources finalement, et il me semble que c’est un excellent moyen de conclure ces escales.
Trop chouette, cet article ! C’est génial d’avoir fait autant de bonnes lectures ! Je ne connais qu’A la croisée des mondes (évidemment ❤), mais je note quelques titres supplémentaires, notamment Feel Good et Ne pas laisser le temps à la nuit. J’avais tenté de lire Cent ans de solitude au lycée, mais je n’ai jamais réussi à rentrer dedans…
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Fonce sur Feel Good, et dis-m’en des nouvelles !! Pareil pour Ne pas laisser le temps à la nuit, ce serait chouette de te faire lire des auteurs suisses ❤
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Fonce, fonce… tu en as de belles. J’ai une PAL à réduire et un budget limité, moi, donc ils vont devoir attendre leur tour, comme les autres ! ^^
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Vraiment très bonne idée, cet article ! Je sens qu’on me surveille pour que je lise « Salina » un jour…
(comment vous arrivez tous à lire de la fiction en ce moment ? J’en suis incapable)
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Oh merci ! 🙂 Bah oui, en plus il est très court, pas d’excuse !
Ah j’ai dû m’y remettre progressivement, mais ça m’a pas mal aidé à m’échapper 🙂
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J’ai aussi profité du confinement pour me remettre plus à la lecture ! Merci pour tes conseils. Il faudrait vraiment que je lise l’œuvre de P. Pullman un jour.
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Oh ça oui, il faut que tu découvres cet univers enchanteur 🙂
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