Dans les derniers mois, j’ai lu trois monuments de la littérature jeunesse qui se déroulent dans la seconde moitié du XIXe siècle, et j’ai été frappée par certains points communs qu’on peut y trouver. J’ai donc eu envie de t’en parler, de les mettre en parallèle et évidemment de t’exposer mon ressenti au passage. Voici donc nos trois objets d’intérêt du jour :



- Louisa May ALCOTT – Les quatre filles du Docteur March / Little women (1868)
- Comtesse de SEGUR – Les Malheurs de Sophie (1858)
- L. M. MONTGOMERY – Anne de Green Gables / Anne of Green Gables (1908)
Bref panorama
Ces trois œuvres, écrites par des autrices renommées, se déroulent dans des contextes bien différents. Les quatre filles du Docteur March nous présente le quotidien de la famille March aux Etats-Unis, en pleine guerre de Sécession. Les quatre sœurs font ainsi face aux difficultés de cette période, à l’absence de leur père, à une pauvreté qu’elles ne connaissaient pas jusque-là, mais restent résolument optimistes et reconnaissantes de ce que la vie leur offre. Les Malheurs de Sophie nous transporte en France, dans une famille aisée où grandit la jeune Sophie. Enfant espiègle et têtue, elle cumule les bêtises et tente de devenir une petite fille modèle avec l’éducation fournie par sa mère. Et enfin, Anne de Green Gables nous emmène au Canada, où un frère et une sœur décident d’adopter un garçon pour les aider à la ferme et se retrouvent par erreur avec la jeune Anne et son imagination débordante. Trois pays, trois structures familiales, trois approches diverses… Mais les parallèles existent, et je vais tâcher de les évoquer dans la prochaine partie.
Trois œuvres, de nombreux points communs
Dans la genèse de ces trois histoires, on peut déjà observer quelques situations similaires : les trois autrices ont eu accès à une bonne éducation, sont arrivées dans le milieu littéraire et ont souhaité écrire ces œuvres pour de jeunes lecteurs. Les trois romans ont eu un beau succès à la sortie et sont devenus des sagas familiales, à mesure que les personnages grandissent et évoluent dans leur environnement respectif. Ainsi, les Little Women reviennent dans Good wives, puis dans deux romans centrés sur le personnage de Jo (la plus indépendante des quatre sœurs), Les Malheurs de Sophie devient la trilogie de Fleurville avec Les petites filles modèles et Les vacances, et Anne Shirley donne naissance à une dizaine de romans et nouvelles qui suivent sa vie d’enfant, d’adulte, et même ses propres enfants.
Un autre parallèle assez fort est le fait que les trois autrices auraient dit s’être inspirées de leur propre parcours pour construire les héroïnes de leurs romans : Louisa May Alcott se retrouve apparemment beaucoup dans la personnalité de Jo March, la Comtesse de Ségur donne même son prénom à Sophie et dit avoir pioché dans ses souvenirs pour lui donner corps, et Lucy Maud Montgomery a projeté son amour de la nature et de l’écriture, son parcours scolaire et son enfance à la campagne dans son personnage d’Anne Shirley. Les trois jeunes filles partagent en outre un caractère bien trempé, une vivacité d’esprit et un esprit d’indépendance, mais aussi une tendance à la dévalorisation et un regret de ne pas rentrer dans le moule, de ne pas satisfaire leurs parents comme elles le voudraient et de se laisser trop emporter par leurs émotions.
Un autre axe qui me semble récurrent concerne les valeurs véhiculées dans les trois récits : chacune à sa manière, les autrices exploitent des épisodes de la vie quotidienne pour y injecter des principes de générosité, de sérieux au travail, d’obéissance ou de respect des aînés. On sent l’envie de s’adresser à un jeune public et peut-être de servir de support éducationnel, c’est en tout cas ce que de nombreuses familles de l’époque ont fait en lisant ces romans avec leurs enfants et en profitant des débordements des héroïnes pour leur transmettre des leçons de vie. À cet égard, ce sont des œuvres qui témoignent de leur époque et qui peuvent sembler désuettes sur bien des aspects (ce qui n’empêche pas pour autant d’apprécier la lecture, du moins en ce qui me concerne).
Et enfin, l’écho le plus direct (et celui qui m’a le premier fait penser aux parallèles possibles entre ces trois histoires), c’est le choix de certains épisodes du quotidien pour rythmer le récit. Les trois romans sont partiellement construits comme des collections d’anecdotes, et j’ai souri en voyant des thèmes parfois très similaires : par exemple, dans les trois récits, on tombe sur au moins un épisode où l’héroïne veut préparer un repas ou du thé pour recevoir ses amis, et où l’opération tourne mal. On trouve aussi à chaque fois une histoire de cheveux (brûlés, teints, mouillés, coupés…), source de vanité qui se retrouve gâchée par une bêtise, et au moins un éclat de colère qui se termine en une douloureuse épreuve d’excuses à présenter en personne.
Mon avis sur ces lectures
De mon côté, si j’ai apprécié ces trois premiers romans et que j’ai envie de poursuivre les trois sagas, Anne of Green Gables se détache clairement du lot. Dans Little women, je me suis parfois lassée de l’aspect trop candide et plein de bons sentiments de l’ensemble : la mère fait montre d’une sagesse infinie, et ses filles terminent chaque mésaventure par un « Oh maman, tu avais raison depuis le début, seul le bon équilibre entre travail et loisirs peut me rendre heureuse, si seulement je t’avais écoutée plus tôt ». Le curseur penche un peu trop du côté de la morale à mon goût, ce qui lui donne forcément un coup de vieux puisque notre vision du mariage, du rôle de la femme ou des bonnes valeurs chrétiennes a un peu évolué depuis. C’est globalement une lecture très douce mais, voilà, parfois j’ai eu du mal à rester captivée.
Dans Les Malheurs de Sophie, j’ai eu un peu le problème inverse : j’ai eu l’impression qu’on essayait de dépeindre Sophie comme une enfant turbulente et dont les bêtises font rire, mais j’y ai surtout vu une enfant très seule, trop enthousiaste, souvent grondée et punie et presque éduquée à se dévaloriser. Ça m’a fait de la peine, en réalité, et j’ai surtout éprouvé de l’empathie pour ce personnage attachant. C’est aussi le festival de la violence animale, avec des scènes qu’on ne pourrait plus écrire de la même manière aujourd’hui. Alors si j’y ai trouvé la vague nostalgique que j’attendais, et un charme désuet non négligeable, j’ai été surprise par le ton un peu rude et intransigeant de l’ensemble : là aussi une morale très présente, mais pas du tout la même manière de l’amener.
La vraie grosse surprise donc, c’est Anne of Green Gables, le seul des trois que je n’avais pas lu dans mon enfance. J’avais par contre dévoré son adaptation sur Netflix l’année dernière, et c’est avec ces images en tête que j’ai attaqué ma lecture. Et j’ai l’impression que ce roman propose l’équilibre qui me convient le mieux entre valeurs classiques et brin d’espièglerie. Anne est très attachante, évidemment, et si elle est parfois punie pour ses débordements, ils sont souvent accueillis avec bienveillance par son entourage. Sa mère adoptive, d’abord très sévère, s’adoucit au contact de cette jeune fille si particulière. Le roman ne s’applique pas tant à gommer son excentricité qu’à la faire accepter par les autres et à leur montrer ce que son enthousiasme a de précieux. C’est donc une lecture réconfortante et chaleureuse, avec des personnages nuancés et capables de remise en question, qui finissent par bousculer certains codes. Il faut aussi dire que ce roman est paru quelques années après les deux autres, ce qui aide peut-être dans son point de vue un peu plus moderne (même s’il se déroule à la même époque). Globalement, j’ai adoré cette lecture, et je valide d’ailleurs les modifications apportées par la série, qui rajoute un peu de piment et de rebondissements à des endroits bien choisis.
Voici pour ces quelques réflexions à chaud, dont je serais ravie de discuter si tu as lu l’un ou l’autre de ces romans ! De mon côté, je me procurerai certainement la suite des trois sagas, pour retrouver toute cette flopée de personnages si sincères et spontanés.
Je n’ai que de très lointains souvenirs des Quatre filles du Docteur March, pas sûre d’avoir lu entièrement les Malheurs de Sophie et Anne of Green Gables est vraiment à découvrir pour moi ! Impossible de proposer une réflexion là-dessus, mais c’était un plaisir de lire la tienne et de voir ce que ces oeuvres avaient de commun, par rapport à leurs autrices ou leurs récits. C’est toujours fascinant de voir l’évolution au fil des années, ou d’une oeuvre à l’autre, puisant dans les mêmes principes. Si je ne doutais pas du côté moralisateur de certaines, je ne pensais pas pour autant que les personnages se montraient à ce point espiègles et vivaces !
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Oui, j’ai aussi été agréablement surprise par le caractère des héroïnes, plus dynamique que ce à quoi je m’attendais 🙂 si tu as besoin d’une lecture doudou, Anne pourrait bien faire l’affaire !
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Totalement d’accord pour ton avis sur Little Women (et Good Wives, j’ai lu en intégrale, je ne savais même pas le titre du 2ème!), mais je te l’ai déjà dit.
Je ne pense pas lire les Malheurs de Sophie, je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pas un bon souvenir de ces histoires (je n’ai pas lu mais je crois avoir vu un dessin animé? ou autre chose je ne sais plus).
Par contre Anne of Green Gables me donne vraiment envie depuis des années et je suis contente de voir qu’il se démarque des autres selon toi.
Ton analyse est intéressante, ça me conforte dans mes envies/pas envies de lire ces classiques 🙂
Belle lecture des suites!
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Mais oui, tiens, j’ai aussi lu Good Wives en fait, maintenant que tu le dis ! Ce qui n’a pas arrangé ma critique d’ailleurs haha
Il y a eu en tout cas un dessin animé oui, peut-être même plusieurs ^^
Oh ouiii j’espère que tu vas aimer Anne autant que moi 🙂 et la série vaut vraiment le coup aussi !
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Sur les trois je n’ai encore jamais lu Anne of Green Gables, mais il me tente bien après avoir lu ta chronique ^^
Je te rejoins sur Little Women, mais j’aime toujours Les Malheurs de Sophie, surtout après avoir lu la bio de l’auteure, on comprend beaucoup mieux la portée du livre 🙂
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Aaah fonce alors pour Anne of Green Gables 🙂 et je comprends tout à fait pour Les Malheurs de Sophie, j’ai d’ailleurs hâte de lire la suite malgré mes remarques ^^
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Très chouette article, tes comparaisons sont très intéressantes. Perso, j’ai moyennement apprécié ma relecture récente des Quatre filles du docteur March. C’est mignon, mais trop moralisateur, ça m’a un peu lassée sur la durée. Je veux relire Les malheurs de Sophie et Les petites filles modèles qui étaient des lectures cultes de mon enfance que je veux redécouvrir avec un regard d’adulte (en espérant ne pas vivre la même déception). Quant à Anne of Green Gable, je ne les ai jamais lus, mais je dois absolument le faire car je suis sûre que ça va me plaire.
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Merci beaucoup ! Oui je comprends, j’ai trouvé ça beaucoup trop moralisateur aussi
Curieuse d’avoir ton retour sur la Comtesse de Ségur, du coup ! Et je ne peux que te conseiller Anne of Green Gables effectivement, c’est tout doux 🙂
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Je me souviens en effet qu’étant enfant, j’avais trouvé « Les malheurs de Sophie » un peu choquant de par la répression à l’encontre de Sophie, donc je rejoins ton opinion dessus. Si on le ressent en tant qu’enfant, je n’ose imaginer en tant qu’adulte… Je n’ai pas lu les deux autres, donc pas de retour à faire sur eux.
En tout cas, un article intéressant à lire !
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Oui, c’est globalement un livre assez sévère je trouve. Il me ramène à mes lectures d’enfance alors c’est difficile de savoir comment je l’aborderais si je le découvrais aujourd’hui, mais je comprends qu’il soit difficile à attaquer si on n’a aucune nostalgie rattachée à l’histoire haha
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Oh, quand j’étais jeune, j’adorais Les malheurs de Sophie (à la télé en tout cas). Mais j’avoue n’en avoir que des souvenirs vagues. J’ai le livre encore, d’ailleurs. Je n’ai pas lu les deux autres romans mais j’adore ce type d’article mettant en exergue les points communs mais aussi les différences entre des œuvres du même bord. Merci !
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Jamais vu le dessin animé je crois, mais j’ai grandi avec la Comtesse de Ségur ! 😉
Merci beaucoup, et c’est d’ailleurs un exercice que tu gères extrêmement bien de ton côté 😀
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Ta démarche est très intéressante, effectivement on se rend compte que ces romans ont beaucoup en commun, notamment la visée éducative.
Ta façon de résumer les petites leçons de morale des Quatre filles du docteur March m’a bien fait rire, c’est vrai que cela fait cet effet haha
Par contre tu m’apprends qu’il y a une suite, je n’en avais jamais entendu parler !
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Merci beaucoup ! Haha oui c’est très candide 😀 En fait il est souvent vendu sous forme d’intégrale, la deuxième partie est celle où les filles grandissent et deviennent adultes 🙂
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Ah oui j’ai du lire l’intégrale en fait alors !
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Quelle super idée d’article! Vraiment, hyper intéressant je trouve de mettre en parallèle ces trois titres.
J’ai très envie de découvrir Little Women au format livre après avoir beaucoup apprécié l’adaptation de 2019 mais je sais justement que ce livre comporte une bonne grosse dose de morale chrétienne et j’ai peur d’avoir un peu de mal ! L’anglais t’as paru abordable? J’hésite entre le lire en anglais et prendre une version française très très récente parce qu’il parait qu’il existe une traduction assez catastrophique de cette œuvre par un boug qui a jugé bon de changer la moitié de l’histoire au point où ca crée des incohérences avec les romans suivants xD
Pour Les malheurs de Sophie, je me souviens de cette couverture et il me semble que ce bouquin m’était arrivé entre les mains depuis la bibliothèque familiale. Je n’en garde malheureusement aucun souvenir et il me semble qu’il m’était franchement tombé des mains ahaha
Et pour Anne de Green Gables, c’est une de mes plus belles découvertes de 2021. C’était un vrai bonbon. J’ai tellement aimé que j’ose pas me lancer dans le tome 2 parce que j’attends le bon moment pour le lire pour pouvoir en savourer chaque miette !
J’ai vraiment trouvé ce premier tome résolument moderne pour son époque. Le personnage de Anne est d’une fraicheur folle et invite à l’émancipation sans que son comportement ne soit jamais jugé violemment comme inadapté. Comme tu le dis, c’est vraiment un livre où l’héroïne est acceptée par ses contemporains dans toute son excentricité et ses « bêtises » ne font jamais bien de mal et nous font en tout cas en tant que lecteur, toujours beaucoup rire!
Merci pour ce trop chouette article, il me donne terriblement envie de lire la suite des Anne ♥
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Oh merci pour ce long commentaire, dis donc ! 😀 ça fait plaisir de te voir par ici !
Arf, difficile à dire pour le niveau d’anglais de Little Women, va peut-être feuilleter les extraits sur Amazon pour te faire une idée avant de trancher ^^ Mais effectivement, si tu pars sur la traduction, vise une récente !
Ouiiii l’accueil de Anne of Green gables a vraiment l’air unanime 🙂 si tu veux qu’on lise la suite ensemble à l’occasion, ce sera avec plaisir ! ❤
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