Il y a quelques jours, j’ai terminé ma lecture des Chaînes du Silence de Céline Chevet, son dernier roman en date après l’excellent La fille qui tressait les nuages qui a gagné le PLIB 2019 et dont je t’ai déjà parlé plusieurs fois. Ce nouveau livre m’a beaucoup intriguée, on y parle de Vampires et de Bêtes mais pas de manière classique,
on interroge la position de l’être humain dans un équilibre plus vaste, on alterne les points de vue pour poser des questions assez fondamentales et un peu étourdissantes. Bref, j’ai beaucoup aimé, ça a d’ailleurs été un des points de départ de mon dernier article sur les maths et la spiritualité. J’ai donc eu très envie de débriefer avec Céline Chevet et de te faire profiter de notre échange : sans perdre plus de temps, voici donc l’interview qu’elle a eu la gentillesse de m’accorder, j’espère que ça va te plaire !
Moi : Comme tu le sais, j’ai beaucoup aimé tes deux romans, et s’ils sont assez différents dans leur ambiance et leurs thèmes, j’ai l’impression qu’on y retrouve un même penchant pour la spiritualité et un même amour des sens cachés, des doubles lectures et des libres interprétations. Est-ce que c’est un choix conscient de ta part, est-ce que tu as une envie de décliner les mêmes réflexions dans différents univers ou est-ce que ce n’est pas forcément fait exprès ?
Céline : Merci ! Je pense que ça vient du fait que je n’écris pas pour partager le résultat d’une réflexion, mais plutôt pour partager un questionnement. Après, pour ce qui est de la double lecture, c’est juste qu’il me semble important de parler de thèmes plus complexes et peut-être plus polémiques, plus personnels aussi dans une deuxième lecture qui ne viendrait pas pour autant gêner la première. Enfin, j’aime laisser des interprétations libres, car souvent les lecteurs me reviennent avec leur propre vision du livre et je redécouvre mon roman sous un nouveau jour : c’est une sensation fabuleuse et une grande leçon d’humilité.
Moi : Oui, d’ailleurs c’est aussi une question que je voulais te poser : tu as beaucoup de gens qui te donnent leur impression après la lecture, c’est souvent très différent de ce que tu avais en tête ? Ca doit être hyper enrichissant !
Céline : Oui, j’ai beaucoup de retours très variés et du coup extrêmement enrichissants ! Ce sont en effet des pistes de réflexions auxquelles je n’avais pas pensé en écrivant et qui pourtant collent très bien à l’histoire et j’en suis moi-même étonnée. C’est dans ces moments-là que je me rends compte que mon livre m’échappe et commence à vivre par lui-même. J’en apprends aussi plus sur mes lecteurs et je me renseigne à mon tour sur les références philosophiques ou littéraires qui les ont poussé à imaginer le parallèle. C’est très intéressant. Cela ressemble à de la co-création à la fin !
Moi : Je trouve ça génial Et le fait de faire uniquement des one-shot, ça te permet une plus grande flexibilité ? Ou tu as aussi des projets de saga en tête ?
Céline : Récemment je travaille sur des séries. Ma prochaine sortie est notamment un diptyque (mais pour être honnête, c’est un peu de la triche car je l’ai écrit en continu donc un peu comme un one-shot trèèèèèès long). Mais sur deux autres projets en cours, je suis sur un format série. Je ne sais pas si cela me convient mieux. J’aime le one-shot et sa flexibilité, aussi parce que j’ai tendance à me lasser rapidement d’un univers et que j’ai beaucoup d’autres idées qui se bousculent dans ma tête !
Moi : Oh c’est marrant, j’aurais plutôt tendance à penser que c’est difficile de dire au revoir à un univers pour en retrouver un autre Mais cette gymnastique d’esprit m’épate beaucoup !
Céline : Certains univers collent plus à la peau que d’autres… Mais en vérité, lorsqu’un roman est terminé, cela veut dire que je suis passée par une phase d’écriture, de réécriture, de bêta 1, corrections 1, bêta 2, réécriture 2, bêta 3, réécriture 3, corrections 2, relecture 1, corrections 3, relecture 2, etc. À la fin, je ne veux plus mettre un pied dans cet univers !!!
Moi : Hahaha oui c’est vrai, on a tendance à oublier les coulisses de ce métier !
Céline : Certains personnages nous ont vraiment donné du mal… On leur dit au revoir avec le sourire !
Moi : D’ailleurs, en parlant de flexibilité. Autant dans La Fille qui tressait les nuages que dans Les Chaînes du Silence, tu t’attaques à des sujets qui sont durs à traiter sans tomber dans le cliché. Pour le Japon, comme je sais que tu y as vécu ça devait être plus simple de dépeindre un Japon « réaliste » qui ne tombe pas dans l’image biaisée qu’on s’en fait. Mais pour Les Chaînes du Silence, comment as-tu abordé cet angle du vampire ? Comment as-tu décidé ce que tu gardais de l’imaginaire collectif, ce que tu modifiais, est-ce que tu as fait beaucoup de recherches ?
Céline : Comme tu le dis, pour La Fille c’est en effet plus simple d’éviter les clichés liés au Japon vu que le roman se base vraiment sur mon expérience de vie dans le pays et non sur l’univers japonais auquel nous avons accès en Europe. Pour Les Chaînes, l’image du vampire est réellement partie d’un rêve où ils m’apparaissaient tels que je les décris dans le roman. Je me souviens d’une discussion avec mon père qui me « reprochait » d’écrire sur les vampires en me disant que ça a déjà été fait bien trop de fois et je lui répondais que je les avais vus en rêve et que mes vampires étaient différents ! Je n’ai pas fait de recherches non. Je les ai laissés me guider.
Moi : Oh c’est si cool ! C’est vrai que je me suis demandé pourquoi tu avais choisi les vampires plutôt que d’autres créatures fantasmées, mais tout tombe sous le sens si ce n’est pas un concept que tu as dû créer consciemment. Le résultat est assez fascinant en fait, pour moi ces Vampires peuvent incarner beaucoup d’entités, d’idées qui confrontent l’Homme à ses limitations et à sa position dans l’équilibre, et ça fait de ton livre à la fois une histoire très ancrée dans l’actualité (ça m’a fait penser à l’intelligence artificielle, à ce genre de puissance supérieure à l’homme qu’on essaie de créer) et totalement intemporelle, puisqu’on peut aussi partir sur la religion ou juste le rapport à la nature… C’est sacrément puissant !
Céline : Merci ! Oui je me suis dit aussi que ça aurait pu être des extraterrestres finalement. L’idée était vraiment de « détrôner » l’homme dans son idée de toute puissance pour le ramener dans le cycle des choses et dans le juste rapport à la vie et à la mort, au Tout et au Rien.
Moi : Oui ça se ressent bien en lisant ! Et je pense que les extra-terrestres auraient plus ancré ton roman dans le « futur », là où les Vampires permettent cette atemporalité totale.
Céline : Oui en effet. Et puis je n’ai pas rêvé d’extra-terrestres…
Moi : Haha bah oui, du coup la question ne se posait pas ! Puisqu’on va embrayer un peu plus sur les questions qui te concernent, je te propose une petite transition : quel est le personnage auquel tu t’identifies le plus (dans l’un ou l’autre de tes romans) ?
Céline : Ouh là là, ça s’est compliqué… Je dirais que malheureusement, ce serait peut-être Julian qui me ressemble le plus…
Moi : Oh mais il est très attachant dans son genre. Un peu naïf mais très sincère et loyal, j’ai beaucoup aimé le suivre ! (Sauf quand je voulais le secouer parce qu’il ne voyait pas ce qui se passait sous son nez haha)
Céline : Haha ! Moi je ne l’aime pas beaucoup. Mais merci !
Moi : D’ailleurs comment ça se passe, d’écrire un personnage que tu n’aimes pas forcément ? Tu n’as pas envie de lui donner plus de qualités pour le mettre au même niveau que les autres ? Tu n’as pas cet attachement de « maman » envers tous tes personnages ?
Céline : C’est marrant, mais Justine, l’une de mes bêta-lectrices, a relevé pas plus tard qu’hier que j’étais très pudique envers mes personnages principaux. Et un ami a également relevé que contrairement à tous mes personnages secondaires qui étaient souvent bien affirmés et colorés, mes personnages principaux manquaient un peu de charisme… Je pense qu’il est vrai que j’aime toujours un peu moins mes personnages principaux que les autres, allez savoir pourquoi ! Mais non, en effet, je n’ai pas d’attachement de « maman » par rapport à eux… Par contre, tu as raison, il faut aimer tous ses personnages et c’est un défi que je me donne pour mes prochains romans : plus j’aimerai mes personnages et plus ils seront bons.
Moi : Oui, on va éviter la psychologie de comptoir, mais c’est vrai que Julian ou Nathanaël sont assez « passifs » par rapport à leur entourage, un peu plus enclins à suivre le mouvement plutôt que donner l’impulsion, c’est d’ailleurs assez rare pour une figure de personnage principal je trouve !
Céline : En effet. Et c’est un schéma que je retrouve dans mes romans maintenant qu’on a mis l’accent dessus !
Moi : A toi de voir si tu veux en faire ta patte ou si tu veux changer ça pour la suite !
Céline : Je pense que ça va encore rester une signature pour quelques romans…
Moi : Si on part un peu plus sur ton rapport aux livres, comment es-tu tombée dans la lecture ? Est-ce que tu as des romans de référence, que tu relis régulièrement (ou que tu penses relire un jour) ?
Céline : Je suis une petite lectrice en vérité. J’aime beaucoup lire, mais je lis trèèèèès lentement et surtout, j’ai du mal à me libérer du temps pour lire. J’ai aussi mis longtemps à vraiment apprécier la lecture. J’ai commencé avec les Chair de poule, Club des Cinq tout ça, mais il y a trois livres qui ont vraiment marqué un gros changement en moi et qui m’ont donné envie d’écrire : Le Rouge et le Noir de Stendal, Merlin de R. de Boron et le premier tome de la trilogie des elfes de Fetjaine. C’étaient mes premières lectures « sérieuses » et celles que je relirais avec beaucoup de plaisir.
Les ouvrages ou auteurs de référence que je relirais seraient la trilogie de Warchild, une petite collection jeunesse de Star Wars qui raconte l’enfance de Obiwan Kenobi, Harry Potter, les Vian, Murakami, Saint-Exupéry principalement.
Moi : Alors il faut vraiment que je lise tes trois ouvrages « fondateurs », ils me font tous très envie ! Et je vais continuer bientôt Warchild, que j’ai beaucoup aimé grâce à toi. Et pour le reste des auteurs, je te comprends totalement ! Et si je te demandais le livre que tu aurais aimé avoir écrit (parce qu’il tape dans le même genre de thèmes que tes écrits, qu’il t’a bluffée, ou que tu aurais aimé avoir l’idée en premier) ?
Céline : Oh ! la question difficile ! Le livre que j’aurais aimé écrire parce qu’il m’a vraiment bluffé au niveau de la philosophie et de la réflexion profonde qu’il y a derrière c’est Vol de nuit, de Saint-Exupéry. Celui dont j’aurais aimé avoir l’idée en premier… ce serait un livre de fantasy ou de SF à l’univers hyper bien construit… Dune est bien construit mais pas assez bien exploité, la Passe-miroir est super aussi, mais le potentiel n’a pas été exploité à son maximum non plus… Le Seigneur des Anneaux, je me serais fait vraiment ch*er à l’écrire… Je dirais : Le cycle Fondation, d’Asimov.
Moi : Haha je n’aurais jamais eu la patience pour le Seigneur des Anneaux non plus ! Je viens de découvrir la plume d’Asimov avec le premier roman du cycle des Robots, c’est beaucoup plus accessible que ce que je craignais et il arrive à rendre son univers hyper clair malgré sa densité, je trouve ça trop bien ! Du coup je vais probablement attaquer Fondation bientôt.
Céline : Ah ! Bon bah on est d’accord ! Je trouve qu’Asimov a vraiment été en avance sur son temps avec un univers et des idées incroyables.
Moi : Mais oui ! J’ai trouvé cette lecture ultra moderne malgré sa date de publication ! Mais toi d’ailleurs, est-ce que tu as un projet SF sur le feu, vu que c’est un genre qui a l’air de beaucoup te parler ?
Céline : Oui, je suis en ce moment sur un projet de SF en trois volumes. C’est un genre difficile. J’espère que je vais réussir à le mener à bien…
Moi : Oh cool ! Oui je te souhaite beaucoup de courage, c’est pas simple de gérer la cohérence, la science et tous les enjeux ! Mais j’ai très hâte de voir ça.
Céline : Oui en effet ! Et surtout de se projeter au niveau technologie. C’est difficile car finalement, lorsqu’on observe les avancées réelles en vingt ans, elles ne sont pas aussi exceptionnelles, ou plutôt spectaculaires, qu’on ne l’imaginerait.
Moi : C’est vrai ! Et être vraiment visionnaire, ça ne s’improvise pas…
Céline : Oui. On va voir le résultat…
Moi : Mais je crois en toi !
Céline : Oh ! Merciiiii !
Moi : Bon je pense qu’on s’approche de la fin… Peut-être un mot sur tes futurs projets, ceux dont tu peux déjà parler ? Est-ce que tu aurais envie un jour de t’attaquer à d’autres supports médiatiques, ou le roman reste ton format de prédilection ?
Céline : Eh bien, il y a bien sûr des parutions prévues, dont le tome 1 de mon diptyque historico-fantastique sur l’unification des Trois Royaumes de Corée en octobre au Chat Noir. J’ai en cours d’écriture plusieurs romans dont de la SF et du fantastique. Je m’essaie à un public un peu plus YA sur deux de mes projets. Sinon, pour ce qui est d’autres supports médiatiques, je travaille en ce moment sur un script d’épisode pilote avec un réalisateur, mais pour le moment, je ne peux pas en dire plus. La réalisation m’a toujours intéressée donc comme écrire me donne une certaine aisance au niveau scénaristique… Affaire à suivre !
Moi : Oh whaou, que de belles nouvelles en perspective… Sacrément prolifique ma parole ! Est-ce que tu as envie de dire quelque chose pour terminer ? Est-ce qu’il y a une question que tu aurais aimé que je te pose, ou un message à placer avant la fin ?
Céline : Non, ça m’a juste fait très très plaisir déjà que tu t’intéresses à mes romans et à ma personne ! Je fais mon petit bout de chemin en tant qu’autrice, mais j’ai de la chance d’être soutenue par une belle communauté de lecteurices donc c’est avec bonheur que je partage mon expérience ! Et j’espère avoir encore plein de retours sur mes romans avec les hypothèses de chacun et chacune pour leur donner une seconde vie. Merci beaucoup en tout cas !!
Moi : Je te le souhaite du fond du coeur, et j’ai adoré pouvoir passer ce moment avec toi !
Un diptyque historico-fantastique sur l’unification des Trois Royaumes de Corée en octobre au Chat Noir? Celui la il file direct dans ma liste à acheter ♥ Très sympa cette interview!
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Ah là-dessus, je te rejoins totalement !! On pourra le lire ensemble si tu veux 😀
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carrément. On a une cosmologie de monstres à se faire bientôt ensemble aussi 😉
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Yes, en août si ça te va !! 😊
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Oui volontiers!
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Super interview ! C’est hyper enrichissant de voir ce que Céline Chevet ressent face aux retours des lecteurs, la façon dont on lui offre de nouvelles visions de son oeuvre… Son rapport aux personnages ou aux différents genres de roman est très intéressant aussi. Merci d’avoir permis de découvrir cette autrice avec cet entretien ! La fille qui tressait les nuages m’intrigue depuis un bout de temps (sûrement depuis que tu l’as chroniqué ici, je pense ^^)
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Merci beaucoup ! 🙂 Oui j’ai beaucoup aimé cette question du traitement des personnages aussi. Ah mais il faut vraiment que tu découvres sa plume, dans ce cas !
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Merci pour cet entretien, il était top !
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Merci à toi, ça fait chaud au coeur ! 🙂
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